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né malin, s’est avisé que certaines suites du divorce étaient comiques ; il a d’abord prévu celles-là. Une pièce représentée sous ce titre, si peu de temps après le vote de la loi, ne serait-elle pas une pasquinade ? Quelques-uns pouvaient l’attendre ; il faut reconnaître, à l’honneur du théâtre, que leur espoir a été déçu. Dans ce premier ouvrage, on a présenté sans rire et sans faire rire, sans qu’elle paraisse odieuse non plus ni indécente, une femme divorcée entre deux maris : c’est un point à noter pour l’histoire des mœurs.

Est-ce donc que la thèse des auteurs, si toutefois ils en ont une, est favorable au divorce ? Il paraît que c’est plutôt le contraire. Un personnage, dont ils semblent faire leur porte-parole, adjure ainsi l’héroïne de ne pas se remarier : « pour un juge qui te dit oui, tu en as deux qui te disent non : ta conscience et ta pudeur ! » L’héroïne, au moment décisif, se souvient de cette singulière phrase et la répète ; elle s’écarte du nouvel époux et lui dit : « Je sois la veuve d’un homme vivant ; » elle lui dit même, en termes plus simples et meilleurs : « Il me semble que nous ne sommes pas seuls ! » Et comme, en effet, ils ne le sont pas, comme le premier époux, caché derrière une porte, apparaît soudain : « Mon mari ! » s’écrie-t-elle. Et l’autre, naturellement, tire parti de ce mot : « Ton mari ! Tu l’as dit ! tu m’appartiens encore, etc. » Il est vrai que, par un revirement romanesque, il se résout à disparaître, il annonce qu’il va se faire tuer à la guerre ; mais par cette annonce même, il jette un voile de mélancolie sur le nouveau couple, et les auteurs donnent à entendre qu’un revenant se dressera toujours dans l’alcôve nuptiale. MM. Emile Moreau et George André, à bien écouter leur drame, seraient donc des adversaires courtois et discrets du divorce. Ils supposent apparemment que, si le divorce n’avait pas existé, mais seulement la séparation de corps, l’héroïne, ne se sentant pas libre, n’aurait pas aimé un autre homme que son mari, et que ce mari, revenu à résipiscence, aurait pu se réconcilier avec sa femme : ainsi l’un et l’autre auraient été plus heureux. Quant au troisième personnage, n’ayant pu concevoir aucune espérance, il n’eût été, par le fait de l’héroïne, ni heureux ni malheureux : il eût épousé une voisine.

A merveille ! Les auteurs, par cet exemple, croient-ils avoir démontré que le divorce est un remède inutile et pire que le mal ? Pour mener à bien cette démonstration, ou seulement pour l’entreprendre, il fallait choisir une autre espèce. Quel est, en effet, le mal dont souffrent l’héroïne et son mari ? Ce n’est pas un mal, mais un malentendu. Si la donnée du drame ne péchait que par l’invraisemblance, passe encore ! Mais ce qu’il faut montrer en deux mots, c’est sa parfaite vanité.

Le commandant Chesneau, un soldat de l’empire (la scène se passe vers 1810), est rentré un jour dans sa maison comme certain capitaine en sortait ; il a trouvé sa femme occupée à brûler des lettres ; il n’a pu