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Elle a d’abord plus que jamais l’Egypte, dont elle a accepté seule la charge par l’échec de la conférence de Londres. Que va-t-elle faire maintenant ? Comment résoudra-t-elle cette question si compliquée, peut-être insoluble, devant laquelle elle a paru si souvent hésiter, qui est pour elle une affaire tout à la fois politique, militaire, et financière ? Il est certain que le ministère, en prenant son parti d’une action plus décisive que par le passé, a regagné une partie de la popularité qu’il avait perdue par ses tergiversations, et puisqu’il s’est créé à lui-même l’obligation d’agir, il s’est rais à l’œuvre, il a du moins commencé à se mettre à l’œuvre. Il a désigné un membre du cabinet, ancien gouverneur de l’Inde, lord Northbrook, et le premier général de l’Angleterre, lord Wolseley, pour aller reprendre sur le terrain même cette tâche ingrate de la pacification et de la réorganisation de l’Egypte. Les deux plénipotentiaires anglais sont partis, ils ont pris leur chemin par Vienne, et ils sont maintenant arrivés à Alexandrie. Lord Wolseley, qui est chargé de la partie militaire, ne s’est point engagé sans avoir la promesse de forces suffisantes, et on a même déjà énuméré avec une complaisance minutieuse, toute britannique, les troupes qui allaient être embarquées, les bâtimens sur lesquels elles seraient transportées, les approvisionnemens de toute sorte mis à la disposition des soldats anglais. Lord Wolseley est chargé de pacifier l’Egypte, d’aller délivrer Gordon qui est toujours à Khartoutn, et au besoin d’arrêter le mahdi qui, depuis quelque temps, ne fait plus parler de lui. Quant à lord Northbrook, il a la mission de reprendre l’éternelle enquête qui a été déjà faite par lord Dufferin, par sir Evelyn Baring, et qui permettra probablement cette fois de trouver enfin la solution, le moyen de reconstituer un ordre administratif et financier dans la vallée du Nil. C’est fort bien, c’est le commencement ; mais ce n’est qu’un commencement, et quelle que soit sa puissance, quelle que soit l’habileté de ses plénipotentiaires, l’Angleterre, avant d’arriver au bout, est sûrement exposée à rencontrer sur son chemin bien des difficultés qu’elle n’a pu résoudre jusqu’ici, qui sont loin d’avoir diminué dans ces derniers temps. L’Angleterre s’apercevra peut-être bientôt qu’il ne suffit pas de se dégager lestement d’une conférence, qu’après comme avant, elle a devant elle une situation compliquée d’une anarchie accumulée depuis quelques années et des engagemens internationaux qui gardent leur force, qu’elle n’est pas libre de rompre. La question est d’autant plus épineuse pour le gouvernement de la reine que, s’il procède radicalement, par une sorte de prise de possession directe de la vallée du Nil, il a nécessairement affaire aux puissances de l’Europe, pour qui la neutralité de l’Egypte est un intérêt de premier ordre, et que, s’il se borne, comme il le dit, à une action temporaire, limitée, il n’aura probablement fait qu’une expérience stérile de plus.