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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/542

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même, il semble avoir la nostalgie de ce Paris dont l’idée le hante comme une vision, et l’on devine qu’il échangerait volontiers sa promenade accoutumée au Salève contre une longue flânerie sur les boulevards ou aux Champs-Elysées avec son ami Scherer, qui lui expliquerait à sa manière (une manière un peu noire peut-être) les hommes et les choses.

Bien qu’homme de goût et critique excellent, il est plutôt encore un moraliste d’instinct et de race. Que pense-t-il de la société où il vit, des femmes qu’il y a rencontrées, de l’esprit qui s’y échange, des caractères qui s’y révèlent ? La vie du monde l’attire, mais ne le retient pas ; il en sort chaque fois plus triste. Un jour cependant, il a gardé d’une de ces excursions dans un salon ami une impression qu’il note soigneusement sur son journal, à la date du 8 mars 1871. Il a rencontré deux jeunes filles, deux sœurs charmantes : « Il a caressé ses yeux à ces frais visages où riait la jeunesse en fleur. « Il analyse l’influence ressentie dans ce voisinage de la santé, de la beauté, de l’esprit, ce qu’il appelle « une sorte d’électrisation esthétique. » Ses idées, ses perceptions en sont comme doucement remuées ; sa sensitivité est devenue toute sympathie. Ce n’est là qu’un bonheur fugitif. Le monde, qu’il ne fait que traverser par de rares échappées, le blesse par ses côtés les plus vulnérables. D’abord, c’est une construction tout artificielle que le monde lui-même, une fiction consentie et prolongée. L’homme vrai ne s’y montre pas, n’a pas le droit de s’y montrer ; c’est un personnage qui laisse à la porte, en entrant, sa nature intime, ses douleurs, ses joies mêmes et qui ne montre, dans ce milieu choisi, que les surfaces polies d’un être de convention. La peinture est fine, forte et rend tout son effet. « Dans le monde, il faut avoir l’air de vivre d’ambroisie et de ne connaître que les préoccupations nobles. Le souci, le besoin, la passion n’existent pas. Ce qu’on appelle le grand monde se paie momentanément une illusion flatteuse, celle d’être dans l’état éthéré et de respirer la vie mythologique. » C’est une sorte de concert des yeux et des oreilles, une œuvre d’art improvisée à laquelle chacun travaille : « C’est pourquoi tout cri de la nature, toute souffrance vraie, toute familiarité irréfléchie, toute marque franche de passion choquent et détonnent dans ce milieu délicat et détruisent à l’instant l’œuvre collective, le palais de nuages, l’architecture prestigieuse élevée du consentement de tous. C’est à peu près comme l’aigre chant du coq qui fait évanouir tous les enchantemens et met en fuite les féeries[1]. » Encore si c’était réellement une fête de l’esprit et du goût ! Ce n’en est que l’illusion. Il ne faudrait pas écouter longtemps ce qui s’y dit pour continuer à être dupe. La conversation du

  1. Pages 112-113, etc.