Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Elle avoit logé si avant toutes les affections de son cœur en ce prince, qui avoit des qualités si attrayantes, qu’elle n’aima jamais le roi de Navarre. » Plus tard elle-même en fera le triste aveu : « J’ai reçu du mariage tout le mal que j’ai jamais eu, et je le tiens pour le seul fléau de ma vie. Que l’on ne me dise pas que les mariages se font au ciel ; les cieux ne commirent pas une si grande injustice. »

A bien des années de distance, le soir, aux heures de la rêverie, accoudée sur la terrasse de son donjon d’Usson, ayant à ses pieds la Limagne d’Auvergne, et, devant elle, à l’horizon lointain, le Mont-Dore, lorsque, isolée du reste de la France, elle évoquera les souvenirs d’un passé déjà si rempli, la première image qui se présentera à sa mémoire, ce sera la tête blonde d’Henri de Guise enfant, et, prenant la plume, elle écrira, à l’une des premières pages de ses Mémoires : « N’ayant environ que quatre ou cinq ans, mon père, me tenant sur ses genoux pour me faire causer, me dit que je choisisse celuy que je voulois pour serviteur, de M. le prince de Joinville, qui a depuis été le grand et infortuné duc de Guise, ou du marquis de Beaupreau, fils du prince de La Roche-sur-Yon, tous deux âgez de six à sept ans, se jouant auprès du roy mon père, moy les regardant, — Je luy dis que je voulois le marquis. — Pourquoi, me dit mon père, il n’est pas si beau (car le prince de Joinville étoit blond et blanc et le marquis de Beaupreau avoit le teint et les cheveux bruns). — Je lui dis : Parce qu’il étoit plus sage, et que l’autre ne peut durer en patience qu’il ne fasse toujours mal à quelqu’un et veut toujours estre le maître. »

Envoyée à Amboise à l’âge de sept ans, avec son jeune frère d’Alençon, Marguerite y resta jusqu’au moment où Catherine, à la veille de partir pour son long voyage à travers la France, la fît revenir auprès d’elle. C’est donc à Bayonne qu’elle se retrouva avec Henri de Guise, le compagnon de son enfance. Elle était alors âgée de douze ans ; Henri de Guise n’en avait que quinze, mais « ce garçonnet, dit Brantôme, étoit déjà plus rude au combat que les plus âgés de beaucoup que lui. » Tandis que Catherine y poursuivait son idée impraticable de marier Marguerite à don Carlos, et le duc d’Orléans à doña Juana, la sœur de Philippe II, fatiguant chaque jour la reine d’Espagne de ses obsessions, Marguerite et Henri de Guise nouaient le premier chapitre de leur roman d’amour. Mais que d’années s’écouleront avant qu’ils le reprennent ! Ce temps, du moins, ne sera perdu ni pour le duc ni pour la jeune fille et ne les rendra que plus dignes l’un de l’autre.

L’année 1566, qui suivit l’entrevue de Bayonne, s’annonçait comme devant être paisible ; toute crainte de guerre civile