Allemagne, dans le plus grand nombre des cas, le propriétaire exploite lui-même, il supporte double fardeau. Les rentes ou intérêts qu’il a à payer sont fixes, invariables ; les revenus à l’aide desquels il les acquitte diffèrent d’une année à l’autre, au gré des vicissitudes des saisons, des conjonctures économiques, de la politique même. Plus d’une campagne sera infructueuse ; il faudra emprunter pour payer les rentes annuelles ; il faudra emprunter aussi pour réparer les dégâts causés par les élémens, pour remplacer le bétail enlevé par l’épizootie, peut-être pour acheter des semences et des engrais ; il faudra encore emprunter pour bâtir, pour drainer, pour arroser et pour toutes les améliorations que les circonstances peuvent imposer. Et nous ne parlons pas ici du besoin qu’il peut avoir de doter sa fille ni d’autres exigences sociales plus ou moins coûteuses.
Un exemple suffira pour montrer jusqu’où ces exigences peuvent aller. Il est des cantons où le gros de la ferme passe à l’un des enfans, mais où l’on s’arrange néanmoins pour donner un lopin de terre à chacun des autres. Ces parcelles, la coutume le veut, doivent leur être remises franches de dettes, les charges, s’il y a lieu, passant à l’héritier principal. Dans d’autres cantons, les terres étant morcelées, les fermes se composent d’un certain nombre de parcelles. Or, il peut arriver que la fille d’un paysan soit mariée dans un village voisin et que les parcelles qui forment sa part d’héritage soient vendues aux enchères publiques. En pareil cas, l’héritier principal est moralement obligé de se rendre acquéreur, ou du moins de pousser les prix aussi haut que possible pour que la famille paraisse bien riche ; les parens y tiennent, car ainsi les autres enfans se marieront d’autant mieux. C’est un des nombreux cas où les gens ont l’air de se tromper mutuellement sans que personne soit réellement dupe. Il n’y a pas de dupe, mais il y a un bouc émissaire, c’est l’héritier principal, — celui qu’on a voulu favoriser ; — il se charge de dettes sur dettes, et souvent jusqu’à ce qu’il succombe.
L’endettement, voilà le mal profond contre lequel l’agriculture, ou plutôt la propriété rurale, lutte dans presque tous les pays. C’est contre les dettes qu’on croit se défendre en demandant que les fermes soient rendues indivisibles. Plus la propriété est grande, mieux le possesseur espère venir à bout de ses dettes ; son produit net est plus élevé, il recueille plus aisément de quoi payer ses créanciers. Ce n’est cependant qu’une simple chance qui s’offre à lui, car une grande propriété peut avoir de très fortes dettes et se trouver aussi gênée que le petit fermier. C’est même la grande propriété qui se plaint le plus vivement, — ce sont des plaintes intéressées, dit-on, — car des hommes compétens qui ont examiné