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pas l’occasion de tirer de là quelques plaisanteries gaillardes et fort bien tournées. Sa fille avait-elle la première suggéré ce genre de plaisanterie ? Nous n’en savons rien, cela n’aurait rien d’invraisemblable. Mme de Grignan, malgré tout son sérieux, avait dans l’esprit et dans l’imagination beaucoup de drôlerie, et nous en verrons d’assez nombreux exemples. Son genre de gaîté cependant ne paraît pas avoir été le même que celui de sa mère ; nous chercherons plus tard à le caractériser ; mais tout d’abord, on voit la gaîté et la plaisanterie se mêler au chagrin. Il s’agissait d’un certain M. Busche, conducteur de chevaux, qui avait emmené Mme de Grignan ; et ce récit était, paraît-il, très plaisant : « Il était bien juste que ce fût vous la première qui me fissiez rire après m’avoir fait tant pleurer., » Seulement c’est pour nous une déception assez irritante de savoir que la narration était si plaisante et de ne pas savoir en quoi elle consistait. Toujours est-il que le récit était « original » et qu’on y trouvait ce qui « s’appelle des traits dans le style de l’éloquence. »

Nouvelles lettres, et mêmes expansions qui paraissent à la fois ravir et étonner Mme de Sévigné. « Méchante ! pourquoi me cachez-vous quelquefois de si précieux trésors ? Vous avez peur que je ne meure de joie. » En même temps, même approbation pour le style : « Vous écrivez extrêmement bien ; personne n’écrit mieux ; ne quittez jamais le naturel ; » Mme de Grignan continuait le récit de son voyage ; elle s’était arrêtée à Moulins et avait visité le fameux tombeau de Montmorency. Elle rencontrait dans cette visite les demoiselles de Valençay, nièces du duc, qui plus tard se souvenaient de l’avoir vue là, et le rappelaient à Mme de Sévigné : « Elles se souviennent, dit celle-ci six ans après, 16 mai 1676, que vous poussiez de grands soupirs dans cette église ; je pense que j’y avais quelque part… On dit que Mlle de Guénégaud vous disait : Soupirez, soupirez, madame ; j’ai accoutumé Moulins aux soupirs qu’on apporte de Paris. » Puis elle racontait à sa mère, de manière à l’effrayer, le passage de nuit qu’elle avait fait d’une haute montagne près Tarare, et si rude que « ses parties nobles en avaient été toutes culbutées. » Elle ne paraît pas avoir été très frappée du Rhône, et elle trouvait que « le fleuve était composé d’eau comme les autres. » Cependant, ce fleuve, qui lui paraissait d’abord si insignifiant, ne fut pas pour elle sans danger ; et elle doit avoir raconté avec émotion et pittoresque l’épreuve qui l’y attendait ; car Mme de Sévigné nous en fait éprouver le contre-coup en en résumant le récit : « Ah ! ma bonne ! quelle peinture de l’état où vous avez été ! .. Et M. de Grignan vous laisse embarquer pendant un orage ; et quand vous êtes téméraire, il trouve plaisant de l’être encore plus