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cultures les plus productives, les fourrages et les plantes industrielles. Encore s’exprime-t-il avec modération, bien différent en cela de certains publicistes qui voudraient réduire la production européenne du blé au minimum et faire mettre en pâturages tous les champs qui s’y prêteraient. Ce serait nous exposer à un grand danger contre lequel nous nous élevons de toutes nos forces. Au lieu de 50 à 60 millions de quintaux que l’Europe demande actuellement à l’Amérique, il lui en faudrait plus de 100 millions : qu’arriverait-il lors d’une mauvaise récolte qui nous priverait des indispensables envois transatlantiques ? Ne vaut-il pas mieux viser à faire produire à chacun de nos hectares un hectolitre de plus ? C’est seulement si les efforts faits dans ce sens réussissaient qu’il serait permis de distraire quelques parcelles des cultures céréales pour les consacrer aux houblons, aux lins, aux betteraves, aux légumes et aux fruits afin de rétablir, en tant que nécessaire, la balance des revenus.

De beaucoup d’autres côtés on élève la voix en faveur des « progrès techniques ; » c’est le seul moyen de réduire les frais, car personne ne songe à diminuer les salaires ; on applaudit cordialement à l’accroissement du bien-être des ouvriers agricoles, c’est d’ailleurs uniquement ainsi qu’on pourra les garder dans la ferme en présence de la concurrence de l’industrie. Il est seulement à regretter qu’à un salaire plus élevé ne corresponde pas un travail plus efficace, personne n’a indiqué le moyen d’obtenir ce résultat. Un autre résultat tenu pour désirable sera non moins difficile à atteindre, c’est le retour à la simplicité. On la recommande fortement aux paysans, elle serait utile dans d’autres régions encore, mais la rivière ne remonte pas vers sa source. On pourrait en dire autant des expédiens proposés par le parti ultra-conservateur : l’indivisibilité des fermes et l’inadmissibilité des dettes foncières. Comment introduire ces domaines privilégiés dans les pays où règne le suffrage universel et où les non-privilégiés forment l’immense majorité ? Comment maintenir un pareil système dans une société où tout se modifie et se transforme, qui considère même le mouvement comme synonyme de la vie ? De pareils expédiens ne sauraient prévaloir contre la nature des choses. Celle-ci veut que chacun soit le principal agent de sa fortune, que les affaires prospèrent d’autant mieux qu’il s’allie plus d’intelligence et de savoir à un travail persévérant et à une sage économie. Hélas ! les vérités les plus vraies sont aussi les plus banales.


MAURICE BLOCK.