pussent se passer de lui. Il s’en prenait aux préventions de leur entourage qu’inquiétaient ses opinions libérales et qui leur forçait la main, les obligeait a résister aux penchants de leur cœur. Nous tenons d’une personne attachée au service de la reine qu’elle le rencontra un soir dans un salon de Berlin et qu’il courut à elle en lui disant : « Je suis heureux de vous voir, j’ai un message à faire transmettre à notre auguste souveraine. Dites-lui que je ne lui en veux pas de me délaisser un peu ; je comprends qu’elle s’impose ce sacrifice par égard pour le roi, qui ne m’aime pas beaucoup, mais qui du reste est une nature, et je respecte toutes les natures. » Quand une reine, quand une princesse royale a l’esprit très cultivé et beaucoup de goût pour les choses de l’intelligence, elle ne juge pas les hommes sur leurs opinions, elle n’a pas peur des libéraux ; mais elle redoute les indiscrets, les vanités exubérantes et encombrantes. Auerbach était un écrivain d’un rare mérite ; malheureusement, dans ses rapports avec les grands, il était trop souvent ce que Proudhon appelait un gent de lettres. — « On s’imagine dans toute l’Allemagne du Sud, disait-il encore à la personne que nous avons déjà citée, que la cour de Prusse m’a donné un million pour avoir défendu la cause prussienne dans mon almanach. Comme ils seraient étonnés d’apprendre que mes services ne m’ont valu que le Tuban qui décore ma boutonnière ! » — N’insistons pas. Il a écrit l’histoire de Diethelm de Buchenberg ; que ses péchés lui soient remis !
Ce Souabe a passé une grande partie de sa vie dans l’Allemagne du Nord. Il habita Dresde de 1849 à 1860, et le séjour de cette charmante ville fut favorable à son talent. C’est là qu’il a composé ses œuvres les plus achevées, où la fraîcheur de l’inspiration s’unit à la pleine possession du métier. Plus tard, il établit à Berlin son quartier général, et quelque profit qu’il retirât des immenses ressources qu’offre cette capitale, où il forma de précieuses liaisons, il ne parvint jamais à s’y sentir chez lui.
L’Allemand du Midi, comme nous le disait un jour un Badois fort distingué, ne connaît que sa personne et sa commune. Il aime à avoir ses coudées franches, à conserver la liberté de ses allures ; de tous les hommes du monde, il est le plus capable de vivre en société tout en se passant de gouvernement et de rester religieux en dehors de toute église. Quoique Auerbach admirât beaucoup la société prussienne, il la trouvait trop disciplinée pour lui. Il écrivait en 1860 que les Berlinois de sa connaissance avaient tous reçu une éducation ou hégélienne ou militaire. Il se plaignait que les premiers ne doutaient et ne s’étonnaient de rien, que, de quoi qu’il s’agît, ils avaient réponse à tout, qu’ils avaient voyagé dans les régions les plus lointaines de l’esprit, qu’ils n’avaient plus de curiosités à satisfaire, que pour eux, toutes les