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châtelaine ; rien ne répondait mieux à ses besoins et à ses idées de grandeur. A défaut de la cour, où elle eût voulu briller au premier rang, Mme de Grignan se consolait par l’éclat d’une existence quasi souveraine dans un palais magnifique ; elle devait en parler d’abondance ; et l’on sent encore l’écho de sa propre fierté et de son cœur glorieux dans le récit que Mme de Sévigné lui en renvoie : « Vous me représentez, dit-elle, un air de grandeur et de magnificence dont je suis enchantée… C’est un grand plaisir d’être, comme vous êtes, une véritable grande dame. »

D’une lettre à l’autre, il n’y a pas évidemment à chercher de transitions. Les sujets se succèdent selon le hasard de la plume. Il s’agissait, par exemple, des lectures de Mme de Grignan. C’était Pétrarque, c’était Tacite. Il paraît que soit à cause de ses nombreuses occupations, soit par goût naturel, Mme de Grignan ne lisait pas autant que sa mère et s’arrêtait souvent au milieu de sa lecture : « Si vous demeurez à la moitié de Tacite, je vous gronde ; vous ferez tort à la majesté du sujet. » — « Auriez-vous été assez cruelle pour laisser Germanicus au milieu de ses conquêtes ? » Enfin, résumant cette sorte de critique en un trait dernier, Mme de Sévigné lui disait : « J’achève les livres et vous les commencez. » Sans lire autant que sa mère, Mme de Grignan cependant se piquait de bel esprit, et elle proposait à sa mère d’en faire « commerce. » Celle-ci lui envoyait en conséquence des maximes et des sentences. Mme de Grignan en envoyait aussi quelques-unes de temps en temps. Elle moralisait à l’exemple de La Rochefoucauld. Elle remarquait, à propos des inquiétudes suscitées par la pensée de l’avenir, que Il notre inclination se change insensiblement et s’accommode à la nécessité. » Dans les Fragmens cités plus haut des lettres à sa fille, elle disait à peu près dans le même sens : « Vous savez que je connais la richesse des privations ; le bonheur de s’y accoutumer est le plus réel de la vie. » Elle disait à sa mère « qu’il faut avoir une robe selon le froid. » C’était une leçon indirecte et assez peu gracieuse à l’endroit de la faiblesse maternelle. Aussi cette mère sensible, tout en admirant en elle « un fond de raison et de courage, » refusait de s’appliquer cette maxime de haut stoïcisme, et elle disait tendrement et délicatement : « Je n’ai point de robe pour ce froid-là. ». Les plus légers incidens fournissaient aux deux dames des pensées ingénieuses et des idées générales. Une erreur de date suggérait à Mme de Grignan cette plaisanterie, que sa mère relevait et reprenait spirituellement en ces termes : « Je suis de votre avis ; c’est une légèreté de changer tous les jours : quand on se trouve bien des 21 ou des 16, pourquoi changer ? Ne suivez pas mon exemple et celui du monde corrompu qui suit le temps et change comme