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lui. » Nous voyons aussi que la mort du duc de Guise avait suggéré à Mme de Grignan des réflexions que sa mère trouve « admirables. » Malheureusement nous ne savons pas en quoi elles consistaient. Elle critiquait une maxime de La Rochefoucauld. Cette maxime condamnait ceux qui croient être sages en se privant de toute folie. La froide raison de Mme de Grignan ne comprenait pas qu’un grain de folie pût entrer dans la sagesse. Elle entendait cette pensée dans le sens d’une morale relâchée. Mme de Sévigné, qui avait d’abord combattu l’opinion de sa fille, y revient ensuite : « Si on a voulu louer les fantaisies, c’est-à-dire les passions, l’exacte philosophie s’en offense. Épictète n’aurait pas été de son avis. » Il paraît que c’était bien là le sens vrai de la maxime ; car « M. de La Rochefoucauld l’a enlevée dans le sens relâché que votre philosophie condamne, » De son côté, la comtesse avait aussi ses maximes ; elle parlait de l’espérance « d’une manière divine. » Elle insistait sans doute sur cette vérité que l’espérance est plus douce que la réalité ; car elle signalait « le malheur du bonheur. » Aux maximes se joignaient les comparaisons. Elle comparait la tranquillité dont on jouit à la campagne « au pain et à l’eau, » et les plaisirs du monde « aux ragoûts ; » mais elle craignait que cette comparaison ne fût « ridicule ; » Elle disait plaisamment que lorsqu’on est trop accablé par les bienfaits d’autrui, il n’y a qu’à se jeter bravement dans l’ingratitude : « C’est la vraie porte pour en sortir honnêtement quand on ne sait plus où donner de la tête[1]. » Elle écrivait aussi des choses assez singulières sur sa beauté, qu’elle trouvait « inutile, » et en concluait « qu’il vaut autant être grosse : c’est un amusement. Voilà une belle raison ! » Elle demandait à sa mère ce si elle aimait toujours la vie, » et Mme de Sévigné répondait que, malgré les chagrins de la vie, « elle est encore plus dégoûtée de la mort. » En passant, un jugement sur Bajazet. Elle trouvait la pièce froide ; c’est en retour de ce jugement que sa mère lui écrivait : « Je voudrais vous envoyer la Champmeslé pour échauffer la pièce. »

Mme de Grignan professait encore une philosophie forte et élevée à l’égard des grandeurs de la cour, peut-être un peu comme le renard de la fable. Elle attribuait à sa propre indifférence ce que Mme de Sévigné attribue à la force de sa raison et de son esprit ; mais celle-ci n’eût pas voulu que cette philosophie allât trop loin : « Il faut un peu agir, disait-elle, afin que votre philosophie ne se tourne pas en paroles et que vous puissiez revoir un pays (la cour) où les nues seront au-dessus de vous. » Mme de Sévigné fait souvent

  1. Voir aussi 23 mars 1672 et 24 décembre 1673.