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autre cause : « Il a fallu que tout ait cédé à la force de vos raisonnemens. » On s’étonne aussi un peu, et peut-être une mère avait-elle le droit de s’étonner que Mme de Grignan lui dît qu’elle comptait bien que les honneurs dont elle était comblée « ne changeraient rien à l’affection maternelle. » Ces honneurs, ces succès, ces triomphes remplissaient l’âme de Mme de Grignan : « Votre lettre me paraît d’un style triomphant ; vous aviez votre compte quand vous l’avez écrite ; vous aviez gagné vos petits procès ; vos ennemis paraissaient confondus ; vous aviez vu partir votre époux à la tête d’un drapello eletto ; vous espériez un beau succès d’Orange. » Peut-être cette grandeur de province la rendait-elle moins pressée de revoir Paris, car Mme de Sévigné la sermonne un peu là-dessus : « Ne décidez rien ; ne faites rien d’opposé à votre retour. » Elle craignait les dépenses d’un grand voyage et reprochait assez durement à sa mère de ne pas tenir compte d’une aussi grande dépense. Mme de Sévigné lui renvoyait ses propres paroles : « Vous me demandez, lui dit-elle, s’il est possible que moi, qui devrais songer plus qu’une autre à la suite de votre vie, je veuille vous embarquer dans une excessive dépense qui peut donner un grand ébranlement au poids que vous soutenez déjà avec peine[1] ? » C’était blesser au cœur une mère si tendre et si attentive : « Non, mon enfant, répond celle-ci, je ne veux point vous faire tant de mal. »

Cependant Mme de Grignan, à son tour, vient à Paris : nouvelle interruption de la correspondance depuis février 1674 jusqu’en mai 1675. Aussitôt partie, elle écrit à sa mère, et c’est d’abord, comme toujours, pour s’épancher et pour se faire pardonner : elle avait sans cesse de ces retours et de ces scrupules. Elle fait allusion aux petites difficultés qui avaient pu altérer leur commerce ; elle s’inquiète du chagrin et de la tristesse que sa mère paraissait en ressentir. Mme de Sévigné, de son côté, la tranquillisait par ce mot charmant : « Ne soyez jamais en peine de ceux qui ont le don des larmes. » Cependant elle s’était contenue au départ pour ne pas laisser éclater tous ses sentimens. Mme de Grignan lui avait soufflé une bouffée de « philosophie ; » qu’elle admirait sans oser s’en plaindre. Après les premiers épanchemens de la séparation, cette philosophie continuait par lettres. La fille sermonnait la mère : « Vous me dites des merveilles de la conduite qu’il faut avoir pour se gouverner dans ces occasions ; j’écoute vos leçons et je tâche d’en profiter. » Bientôt d’autres pensées viennent se mêler à celles-là. Mme de Grignan s’ennuyait des arbres de Provence ; elle regrettait les arbres du Nord, qui reverdissent au printemps : « Ce que vous

  1. Ces paroles sont en italiques dans Mme de Sévigné.