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dites des arbres qui changent est admirable ; la persévérance de ceux de Provence est triste et ennuyeuse : il vaut mieux reverdir que d’être toujours vert. » C’est là une pensée charmante, dite d’une manière charmante ; peut-être la façon est-elle de Mme de Sévigné ; mais le fond est de Mme de Grignan. C’est encore une pensée ingénieuse et touchante que celle-ci : « Vous dites une chose bien vraie, c’est que les jours qu’on n’attend point de lettres sont employés à attendre ceux qu’on en reçoit. » Au milieu de ces belles et ingénieuses pensées, Mme de Sévigné relevait avec soin tous les traits qui indiquaient chez sa fille quelque sensibilité naturelle : « Vous m’avez fait plaisir de me parler de mes petits-enfans ; je crois que vous vous divertirez à voir débrouiller leur petite raison. »

Il est fort question, dans les lettres de Mme de Sévigné, et, par conséquent, dans celles de sa fille, d’une affaire de cassolette à laquelle on ne comprend pas grand’chose, si ce n’est que le cardinal de Retz, parent des deux dames, voulait en faire présent à Mme de Grignan. Celle-ci, par une fausse fierté, se refusait à recevoir un si riche présent. Mme de Sévigné la reprend là-dessus et ne voit dans ce scrupule « qu’une vision de générosité. » Elle dit qu’il y a des cas où « c’est une rudesse et une ingratitude de refuser. » Elle demande « ce qui manque au cardinal pour avoir le droit de faire un tel présent. « Il est parent ; il est âgé ; il donne tout à ses créanciers ; il se fait un plaisir de donner une curiosité, un souvenir qui vaut à peine cent écus : c’est là « un excès de gloire. » C’est « un défaut qui blesse la société. » On ne peut s’empêcher d’être de l’avis de Mme de Sévigné en cette circonstance. Et cependant un excès de gloire, une vision de générosité n’est pas, après tout, un excès trop commun[1].

Malgré toute sa philosophie et la réputation de libre penseuse que lui faisait Ninon, Mme de Grignan allait à confesse ; mais on devine que c’était un peu à contre-cœur pour une âme fière comme la sienne : « Nous ne trouvons point que de l’humeur dont vous êtes, vous puissiez jamais aller à confesse : comment aller parler à cœur ouvert à des gens inconnus ? » Au lieu de raconter ses péchés, elle disait à son confesseur : Mon père, qu’il fait chaud ! Son esprit critique trouvait à redire même à l’amitié humaine ; elle riait a de la pauvre amitié, » et trouvait que « c’était lui faire trop d’honneur que de la prendre pour un empêchement à la dévotion et un obstacle au salut. » Elle se défendait en même temps d’avoir été

  1. Mme de Grignan voulait même refuser d’avance ce que le cardinal comptait faire pour elle quand il aurait payé ses dettes ; Mme de Sévigné lui demande de ne pas prendre de mesures de si loin. (Lettre du 26 juin 1675.)