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véritable conquête des émigrans et non à une simple infiltration ou superposition sans violence. Ces Bretons insulaires, qui se plaignaient avec une indignation et une amertume dont les témoignages subsistent, d’avoir été trahis par les Saxons, qu’ils avaient accueillis comme des hôtes, Auraient donc tenu la même conduite à l’égard des Armoricains, qui les avaient reçus comme des frères malheureux. Seulement rien ici n’atteste une longue durée de la lutte, et l’apaisement, en tout cas, fut prompt à se faire. Ce fut dès lors un même peuple uni par le christianisme comme par l’amour et pour la défense d’une même Armorique. Les nouveau-venus lui donnaient leur nom, en même temps que la Grande-Bretagne perdait le sien pour emprunter à celui d’une simple peuplade le nom bientôt illustre d’Angleterre. La langue aussi, cette langue qui tiendra tant de place dans l’explication des destinées de ces campagnes, devenait commune. Nous touchons encore ici à une question difficile et controversée, mais qui, au point de vue de nos études spéciales, a moins d’importance. On se demande si le breton ne se confondait pas presque avec le gaulois parlé par la population celtique antérieurement établie. Cette opinion a pu s’autoriser des paroles de Tacite, qui dit, dans la Vie d’Agricola, que « le langage des Bretons n’est pas très différent de celui des Gaulois, » La question a été agitée dans les ouvrages de M. Aurélien de Courson sur les Origines et Institutions de la Bretagne et sur l’Histoire de la langue et les institutions de la Bretagne armoricaine ; elle reçoit une solution négative de la thèse de M. Loth. Quoi qu’il en soit, ce qui semble ressortir de ces discussions, c’est que des rapports, sinon aussi complets que le croyait Tacite, du moins très réels, existaient entre le breton et le gaulois parlé en Armorique, rapports suffisans pour que le breton, tel que nous le connaissons, pût résister à l’invasion du latin, qui ne s’opéra que dans certaines régions. Ainsi, deux variétés de races en un peuple, deux idiomes en une langue, voilà le fonds désormais un et résistant ; il nous fera comprendre ce paysan breton, dont la ténacité est un des étonnemens de l’histoire. A ces raisons de persistance du type moral nous en verrons se joindre d’autres. Non plus que les Romains, les Francs, ni les autres barbares ne purent asservir l’âme de ce peuple, ni le garder matériellement, en réalité, ces populations bretonnes n’ont eu que deux maîtres, le druidisme et le christianisme. La croyance, sous ces deux formes, s’est emparée d’elles ; la force ne les a jamais domptées et elles ne se sont pas plus laissé séduire que vaincre.

M. Loth, dans son livre sur l’Emigration bretonne en Armorique du Ve au VIIe siècle,.a rappelé le caractère du Breton, ce caractère qui allait devenir, s’il ne l’était déjà, celui de la population armoricaine à laquelle il s’imposait. Ces Gallois, ces Kymris, — sur ce