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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/816

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l’ignorance française, était nuancée selon ses degrés. M. Guerry, le savant statisticien, comptait vers 1840 un seul écolier sur quatre-vingt seize habitans dans l’académie de Rennes, tandis que la proportion était de un sur onze dans les académies d’Amiens, de Besançon et de Nancy. Même vers 1860, on pouvait dire que la Bretagne demeurait une des provinces les plus mal partagées, lorsqu’on parcourt le tableau des maisons d’école tracé par M. Charles Robert. Les écoles étaient insuffisantes comme nombre et local, ou même malsaines et presque toujours mal appropriées à leur destination et mal outillées, la fréquentation était très imparfaite. Dans un département comme l’Ille-et-Vilaine, on trouvait encore en 1872, sur 589,532 habitans, ce chiffre énorme, pour ainsi dire incroyable, de 355,400 illettrés (236,699 ne sachant ni lire ni écrire, 118,801 sachant lire seulement). Il faut ajouter que, sur les 234,132 individus restans, la plupart n’avaient reçu qu’une très faible instruction. Qu’on examine ces chiffres, qu’on en mesure la portée, il faudra bien convenir qu’une telle situation appelait des remèdes. Une population dont les deux tiers peut-être se composent d’individus étrangers aux premiers élémens est une anomalie évidente dans un état civilisé. On peut attendre avec confiance les résultats de la multiplication nouvelle des écoles. La gratuité facultative recevait déjà dans ces derniers temps une application fort étendue. Quant à l’obligation, elle augmentera assurément dans une certaine mesure le nombre des élèves ; mais on aurait tort de croire que, dans les dispositions actuelles des paysans bretons, l’obstacle soit dans le mauvais vouloir des parens. Ils sont en général convaincus des bienfaits de l’instruction élémentaire pour leurs enfans. L’obstacle, c’est la distance à parcourir. Elle est fort longue surtout dans certains départemens bretons. C’est à cette difficulté qu’a voulu parer la création des écoles de hameaux. On ne saurait ici surtout en contester l’opportunité. Dans le Finistère, des communes présentent une contenance de 2,327 hectares ; on y rencontre des hameaux aussi peuplés que le bourg où se trouve l’école, dont ils sont éloignés de 5 ou 6 kilomètres et parfois davantage. Lors de notre passage récent en Bretagne, antérieur à l’effet des lois récentes d’obligation et de laïcisation qui commencent seulement à se faire sentir, nous trouvions 776 écoles dans l’Ille-et-Vilaine, 625 dans le Finistère, 554 dans le Morbihan. C’était un énorme progrès. La population scolaire augmentait en proportion. En 1881 et 1882, on trouvait plus de 82,000 élèves pour l’Ille-et-Vilaine, environ 72,000 pour les Côtes-du-Nord ; un tel concours allait jusqu’à l’encombrement ; pour le premier de ces départemens c’étaient en moyenne 105 élèves par école ! Le progrès se faisait sentir un peu moins dans le Morbihan, où 60 individus sur 100 ne savaient pas lire. Sans discuter la question des voies et des moyens, et le reproche