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horribles imprécations des vieux druides que fait entendre Gwenc’hland dans sa prophétie terminée par le cri de l’aigle à ses aiglons : « Ce n’est pas de la chair pourrie de chiens ou de brebis, c’est de la chair chrétienne qu’il nous faut. » Je ne rappellerai pas ce qu’a de féroce, et aussi de sublime, le chant superbe intitulé la Marche d’Arthur, si les chouans ne l’avaient rendu leur en le chantant et sans doute en le modifiant un peu à leur usage. Quel hymne guerrier égala jamais ces accens farouches, répétés d’écho en écho du VIe siècle au XVIIIe : « Cœur pour œil ! Tête pour bras et mort pour blessure dans la vallée comme sur la montagne ! Et père pour mère, et mère pour fille ! Étalon pour cavale, et mule pour âne ! Chef de guerre pour soldats et homme pour enfant ! Sang pour larmes, et flammes pour sueur ! » Nous ne savons si le fanatisme réveillé trouverait encore en lui la force affreuse de répéter ces paroles. Mais plus d’un certes redirait ces mots sublimes : « Si nous tombons percés dans le combat, nous nous baptiserons avec notre sang, et nous mourrons le cœur joyeux. Si nous mourons comme doivent mourir des chrétiens, des Bretons, nous ne mourrons jamais assez tôt[1]. »

On peut regarder comme apaisées, excepté dans quelques familles où ces souvenirs se transmettent comme un héritage, les haines vindicatives des « blancs » et des « bleus » qui laissèrent des traces si vivantes pendant un demi-siècle. Il s’y mêla longtemps une hostilité sourde ou patente du paysan contre les propriétaires bourgeois, nouveaux possesseurs du sol, et qu’il regardait comme des intrus. Le paysan breton regrettait le noble, plus hospitalier et plus généreux. Le riche bourgeois, qui le tenait à distance et qui ne le connaissait guère, lui était à tous égards antipathique comme un étranger avec qui il ne se sentait rien de commun dans les sentimens et dans les idées. Dans ses rapports il le trouvait sec, hautain, il maudissait (dans des chansons satiriques) jusqu’au chien qui, lorsqu’il franchissait le seuil du domaine, l’accueillait par ses aboiemens et semblait lui en défendre la porte. Et pourtant ce paysan n’avait pas aimé les grands nobles, il n’avait frayé qu’avec les petits gentilshommes qui vivaient de sa vie, avec ces gentilshommes appauvris qu’on vit si souvent, depuis le XVIIe siècle, aller vendre leur blé au marché l’épée au côté. — Le paysan breton allie à un rare degré deux choses qu’on ne voit guère réunies, le respect des supériorités sociales et le sentiment de l’égalité humaine. Ceux qui le voient plein de déférence pour celui qu’il appelle quelquefois son « maître » se trompent facilement à ces dehors qui recouvrent moins de servilité que

  1. Barzaz-Breiz, par M. de La Villemarqué, 1ère partie, p. 48.