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maladie de Mme de Sévigné s’était assez rapidement améliorée ; elle s’inquiète des inquiétudes de sa fille : « Nous craignons la lettre où vous allez faire de grands cris sur le mal que j’ai eu… Vos frayeurs commencent justement dans le temps qu’il n’y a plus de sujet d’en avoir. » La lettre arrive : « Voilà justement ce que nous avions prévu ; je vois vos inquiétudes et vos tristes réflexions dans le temps que je suis guérie. » Pendant tout le temps de la maladie de sa mère, c’est le chevalier de Sévigné qui tient la plume, tantôt écrivant sous sa dictée, tantôt la remplaçant. Dans ce rôle de secrétaire, son caractère et son esprit se montrent sous le jour le plus charmant. Il aime tendrement sa mère sans ombre de jalousie, et il aime sa sœur, quoiqu’il la sache la préférée ; il fait tous ses efforts pour ménager sa sensibilité, sans cependant lui cacher la vérité ; il s’amuse de son esprit : c’est lui qui a hérité de la grâce de sa mère ; c’est sa sœur qui en a pris le sérieux et la force.

Pendant que Mme de Sévigné se rétablissait lentement aux Rochers, Mme de Grignan avait, de son côté, ses épreuves et ses misères. Elle accouchait prématurément à huit mois, par suite d’une imprudence, et sa mère croyait tout d’abord que l’enfant était mort : « Quel dommage d’avoir perdu encore un pauvre petit garçon ! » Le frater, comme on l’appelle, tire occasion de cet événement pour faire valoir sa propre sagesse, que d’ordinaire on n’estimait guère : « Pour moi, disait-il, je n’accouche pas à huit mois. » Cependant l’enfant n’était pas mort, et, pendant quelque temps, la mère et la fille se bercent de l’espoir de le conserver. Il s’agissait de savoir si l’enfant était bien de huit mois. De là, entre ces dames, des questions, des supputations assez plaisantes : « Je n’ose espérer que vous vous soyez trompée ; vous êtes plus infaillible que le pape. » —… « Je me fie fort à vos supputations, et je trouve vos réponses fort plaisantes. » — «… Je vous prie de compter les lunes pendant votre grossesse ; si vous êtes accouchée un jour seulement sur la neuvième, le petit vivra. » — « Vous me marquez le 15 juin ; nous avons supputé les lunes jusqu’au 11 février ; il est de deux jours dans la neuvième : c’est assez. » A défaut de ces supputations plus ou moins complaisantes, on se consolait avec des contes de bonne femme. On disait à Aix qu’il n’y a rien de si commun que les enfans venus à huit mois. « La rareté des enfans de neuf mois m’a fait rire. » Malgré toutes ces belles espérances, le pauvre enfant végéta pendant un an, et mourut à la fin de juin 1677. C’était le troisième enfant que perdait Mme de Grignan.

A défaut des journaux et des gazettes, les lettres, à cette époque, donnaient les nouvelles du temps. Mme de Grignan envoyait celles du Midi ; Mme de Sévigné celles du Nord : « Nous avons été bien