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aises d’apprendre par vous les nouvelles de Messine ; vous nous avez paru original[1] à cause du voisinage. » Mais quelles nouvelles que celles qui arrivaient huit jours après l’événement ! « Que vous êtes plaisans, vous autres, de nous parler de Cambrai ! Nous aurons pris encore une ville avant que vous sachiez la prise de Condé. » Mme de Grignan, avec son esprit positif, aurait volontiers trouvé là un prétexte pour abréger la correspondance ; mais sa mère lui répond : « Ne nous mettons point dans la tête de craindre les contre-temps de nos raisonnemens ; c’est un mal que l’éloignement cause et à quoi il faut se résoudre ; car, si nous voulions nous contraindre là-dessus, nous ne nous écririons plus rien. »

Le seul fils que Mme de Grignan ait conservé, c’est le marquis de Grignan. Il est souvent question de lui dans la correspondance. La mère était inquiète de le voir trop timide et avait peur qu’il ne devînt poltron. Mme de Sévigné la tranquillisait sur ce point : « Je vous prie que sa timidité ne vous donne aucun chagrin,.. ce sont des enfances ; .. ne vous impatientez point à cet égard. » On craignait aussi pour lui du côté de la taille, un côté du corps était plus fort que l’autre. Les instructions de Mme de Sévigné étaient très sages : « On vous conseille de lui donner des chausses pour voir plus clair à ses jambes… Il faut qu’il agisse et qu’il se dénoue. Il faut lui mettre un petit corps un peu dur qui lui tienne la taille. Ce serait une belle chose qu’il y eût un Grignan qui n’eût pas la taille belle ! » Cependant la taille se remet, et la timidité commence à passer. « Vous me le représentez fort joli, fort aimable. Cette timidité vous faisait peur mal à propos. » On lui avait mis des chausses, et cela seul l’avait rendu brave : « Ils sont filles tant qu’ils ont une robe. » Sa mère se divertissait à commencer « sa petite éducation. » — « Vous prenez le chemin d’en faire un fort honnête homme. Vous lui faites un bien extrême de vous amuser à sa petite raison naissante : cette application à le cultiver lui vaudra beaucoup. » Mme de Grignan s’inquiétait encore de ne pas trouver son fils assez vif, assez spirituel ; il avait plus de sens que d’esprit : « J’aimerais mieux, répond Mme de Sévigné, son bon sens et sa droite raison que toute la vivacité de ceux qu’on admire à cet âge et qui sont des sots à vingt ans. Soyez contente du vôtre, ma fille, et menez-le doucement comme un cheval qui a la bouche délicate. »

Il était aussi question souvent des filles dans la correspondance. L’aînée venait d’être mise au couvent, où, suivant la tradition des nobles familles de ce temps-là, elle devait rester plus tard comme

  1. C’est-à-dire, de source première, sâchant les choses d’original. (Note de l’édition Régnier.)