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mangeant un tel oiseau, l’enfant devait acquérir une voix agréable et le don d’éloquence. Tout individu recevait un nom ; les chefs en avaient trois : le premier, donné à la naissance, était choisi par la mère ; il exprimait le sentiment affectueux à la manière des appellations dont on gratifie parmi nous les enfans en bas âge. Le second, accordé au jour du baptême, se portait vers l’époque de l’adolescence. Le troisième, pris à la mort du père, pouvait être considéré comme le nom de famille. Souvent des épithètes données par allusion à quelques particularités ou à des actions d’éclat devenaient des noms qui se conservaient et se transmettaient.

Une coutume répandue parmi les Polynésiens, mais plus largement pratiquée à la Nouvelle-Zélande que partout ailleurs, est le moko, dans le langage des insulaires, c’est-à-dire le tatouage- ; coutume bizarre, barbare, atroce aux yeux des Européens. On a cherché comment avait pu venir un usage si étrange : on croit l’avoir trouvé. Chez les barbares, les guerriers se préoccupaient infiniment de paraître terribles à l’ennemi ; ils se bariolaient le visage avec du charbon, de l’ocre ou d’autres couleurs. Les Maoris, sans cesse engagés dans les combats, avaient jugé préférable de fixer les dessins d’une manière indélébile afin de présenter toujours une dureté d’expression propre à effrayer les âmes timides. Par la suite, ces marques dont se paraient les guerriers devinrent des signes de noblesse ; il suffit alors d’appartenir à la classe des rangatiras pour qu’il fût nécessaire de les porter ; elles attestaient la qualité personnelle. Selon toute apparence, ce n’est que depuis l’invasion britannique qu’on a vu parfois des chefs sans tatouage. Au temps où les Maoris se montraient souvent peu vêtus, différentes parties du corps recevaient des ornemens analogues à ceux dont on couvrait le front et les joues. Pour les femmes, le tatouage, qui n’a jamais été usité que dans des proportions très restreintes, demeure limité aux lèvres et au menton ; il signale la femme mariée.

L’opération, on le conçoit sans peine, était très douloureuse. Une pointe d’os, en général un os d’albatros, servait à faire les incisions, où l’on introduisait une matière colorante ; au moins dans l’île du Nord, c’était de la résine carbonisée du pin kauri. Il y avait des artistes d’un talent spécial pour dessiner et pratiquer le tatouage. Pollack, qui voyageait à la Nouvelle-Zélande de 1831 à 1837, témoin de l’opération, la raconte ainsi. Un jeune chef est étendu sur le dos, la tête appuyée sur les genoux de l’opérateur. Sa face est barbouillée de sang déjà desséché, et le sang ruisselle des piqûres qu’on pratique. L’artiste jouissait sur les rives de la Tamise, c’est-à-dire au pays de Houraki, d’une grande réputation d’habileté. En examinant son ouvrage, il incline la tête d’un côté ou de l’autre, à la façon d’un peintre qui