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Il ne restait plus à Marguerite qu’à se tirer au plus vite des mains de cet Othello de rencontre, devenu son geôlier. En dépit de ses misères et de ses malheurs, elle était encore à l’apogée de sa beauté. Tout récemment, en la voyant pour la première fois à Agen, un homme s’était écrié, comme le Nubien de Cléopâtre : « l’admirable créature ! si j’étois assez heureux pour lui plaire, je n’aurois pas regret à la vie, dussé-je la perdre une heure après ! » Ces propos furent répétés à Marguerite. Les aurait-elle oubliés que des yeux ardens attachés sur elle les lui auraient rappelés. Cet homme se nommait Aubiac. La reine l’avait pris pour écuyer. Pour rabaisser encore plus la femme, Aubigné en a fait ce vilain portrait : « poil roux, peau tavelée, nez teint en écarlate. » Tout au contraire, un témoin plus impartial, l’ambassadeur toscan Cavriana, nous dit : « Il était noble, jeune, beau, mais audacieux et indiscret. » Qu’importe, après tout ? l’amour n’a-t-il pas ce merveilleux privilège d’idéaliser, de transformer un homme ? Aubiac était plus et moins qu’un amant, c’était un esclave. En toute confiance, Marguerite pouvait se fier à lui ; il avait offert sa vie, il la donna sans se plaindre.

Catherine avait invité sa fille à se réfugier dans son château d’Ibois, situé à deux lieues d’Issoire. Par une froide et obscure nuit de décembre, la reine et Aubiac partirent à pied de Carlat. Ses forces trahirent bientôt Marguerite ; elle fut mise sur un cheval de bât ; en traversant l’Allier, elle faillit se noyer. Un gentilhomme des environs d’Issoire lui avait donné une escorte pour gagner Ibois ; mais ce prétendu libérateur en avait prévenu le gouverneur d’Usson, le marquis de Canillac. Escorté de quarante cavaliers, Canillac vint surprendre la reine dans sa nouvelle retraite. Elle avait caché Aubiac, et, dans l’espoir de le sauver, elle l’avait fait raser. Précaution inutile ! Aubiac fut découvert et reconnu. Le jour même de cette double capture, Canillac envoya M. de Montmorin demander à Henri III et à Catherine ce qu’il devait faire de la reine et de son prisonnier.

Henri III avait dans ses mains les instructions envoyées par sa sœur au duc de Guise, que le chanoine Choisnin venait de lui livrer. Sa colère ne gardant plus de mesure : « Mandez à Canillac, écrivit-il à Villeroy, qu’il ne bouge que nous n’y ayons pourvu bien et comme il faut. Cependant écrivez-lui qu’il la mène au château d’Usson. Que de cette heure l’on arrête ses terres et ses pensions, tant pour rembourser le marquis que pour sa garde. Je ne la veux appeler dans les lettres-patentes que sœur et non chère et bien-aimée. La reine ma mère m’enjoint de faire pendre Aubiac et que ce soit en la présence de cette misérable en la cour du château d’Usson, Faites que ce soit dextrement fait. Mandez que l’on m’envoie toutes