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Vêtue d’une robe de toile d’argent, aux longues manches ouvertes en arcades, dans ses cheveux des perles enroulées avec des diamans, à son cou une rivière éblouissante, Marguerite fut la vraie reine de cette fête. Suivant l’usage, le bal commeoça à six heures et demie du soir. Le jeune roi mena le premier branle avec la princesse sa sœur ; après lui, le duc de Guise dansa une courante avec Mlle de Vendôme, et le marquis de Belbeuf les Canaries avec Madame Elisabeth. Ce fut la dernière grande fête donnée par Marguerite.

Qu’était devenu Bajaumont ? Avait-il eu la destinée de Pomini ? Brantôme, qu’il faut toujours consulter, car ses récits sont toujours exacts, a dit de Marguerite : « Elle a eu ce malheur, que cinq ou six des serviteurs que je lui ai vus de mon temps sont tous morts les uns après les autres. Elle n’a jamais changé ni abandonné aucun de ses amis vivans pour en prendre d’autres, mais eux venant à mourir, elle s’est toujours voulu remonter de nouveau pour ne pas aller à pied. » Tenons donc Bajaumont pour bien mort. Son remplaçant fut le jeune Villars, dont la belle voix avait charmé Marguerite et qu’on surnomma le roi Margot. « Elle a mené Villars, écrivait Malherbe à Peiresc, le 14 mai 1614, dans le jardin des Tuileries pour le faire entendre par la reine. »

Marguerite ne séparait jamais la galanterie des pratiques religieuses. Lors de l’une de ses dernières maladies, elle avait fait vœu d’aller en pèlerinage à Notre-Dame de Senlis si elle en échappait. Elle partit donc en litière, et de son côté Villars, qui s’était associé au vœu de sa maîtresse, partit à quatre heures du matin et fit le chemin à pied.

Jusqu’à la dernière heure, elle avait gardé le goût des grandes représentations. Mal lui en prit d’avoir voulu assister à la procession des états et à leur séance d’ouverture : atteinte d’un refroidissement, elle ne put se remettre et ne fit plus que languir. Dans les premiers jours du mois de mai 1615, on tenait son état pour désespéré, ce qui ne retarda pas d’une heure le ballet de la cour. A la fin de ce même mois, une amélioration sensible se manifesta, et Malherbe put écrire à Peiresc : « La reine Marguerite commence à se porter mieux ; comme elle a été hors d’espérance, on la tient aujourd’hui hors de crainte. » Ce mieux n’était que l’illusion trompeuse qui précède la fin. Le 26 mars, l’évêque de Grasse, son grand aumônier, l’avertit que la mort était proche ; elle reconnut ce dernier avis par le don de son argenterie. Le 27, elle signait un dernier codicille en faveur du couvent des Augustins, qu’elle avait fondé, et, après avoir reçu les derniers sacremens, elle mourait à onze heures du soir. « M. de Valves a été la voir, écrivait Malherbe à Peiresc. Pour moi, je la tiens pour vue, car il y a une presse aussi