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Voyant des bananes qui cuisaient sous la cendre, à côté de boulettes de viande, je m’empressai d’avancer la main pour en saisir une. Quel ne fut pas mon étonnement quand mon interprète m’arrêta le bras d’un air effaré !

— Il ne faut pas toucher à cela, commandant, me dit-il ; vous ne voyez donc pas que c’est un feu fétiche ! C’est de l’homme qu’il y a dans ces paquets de feuilles, et si vous y goûtiez, on ne manquerait pas de dire que les blancs sont venus dans la rivière pour manger les noirs.

Force me fut, ce soir-là, de me contenter, pour souper, de bananes rôties arrosées de l’eau bourbeuse du fleuve ; mais, bien certainement, sans mon guide, je serais à l’heure qu’il est rangé dans la catégorie des anthropophages.

Lorsqu’un village pahouin a jeté son dévolu sur un village voisin et qu’il se sent trop faible pour s’en emparer de vive force, il détache chez l’ennemi un de ses hommes. Celui-ci s’y présente, réclamant humblement l’hospitalité. Il est seul, pauvre, sans armes, il ne demande qu’un abri, qui lui est toujours accordé en échange de son travail.

Un an se passe, notre Pahouin s’est construit une petite case ; beaucoup plus travailleur et beaucoup plus intelligent que ses hôtes, il a su se rendre indispensable. Aussi, le jour où il manifeste timidement le désir, bien légitime assurément, d’avoir sa femme auprès de lui, s’empresse-t-on de le satisfaire, dans l’espoir de se l’attacher définitivement.

Quelque temps après survient un autre Pahouin, suivi à bref délai d’une nouvelle Pahouine, suivie bientôt elle-même des parens de son époux, que ne tardent pas à rejoindre leurs amis et les parens de ceux-ci. Tant et si bien qu’à côté du village primitif, un nouveau s’est élevé, plus vaste et mieux construit que le premier. Les anciens habitans veulent alors réagir contre un pareil état de choses, mais les intrus, se sentant en force, leur font comprendre clairement qu’ils n’ont qu’à transporter ailleurs leurs pénates s’ils craignent les inconvéniens d’une trop grande agglomération. C’est le parti que se voient contraints de prendre les naïfs propriétaires du sol, à moins qu’ils ne préfèrent vivre comme serviteurs sur une terre où la veille ils régnaient en maîtres. Ces détails caractéristiques ne laissent aucun doute sur l’avenir réservé aux Fans, qui seront certainement, avant peu, les seuls habitans du bas Ogooué.

Je vais maintenant dire quelques mots des autres peuplades de la rivière, qui, à peu d’exceptions près, offrent très peu d’intérêt. Celle des Aroungous est assez nombreuse. Les Aroungous étaient jadis de grands marchands d’esclaves ; c’est presque exclusivement