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LA
POLITIQUE COLONIALE
ALLEMANDE

C’était pour la plupart des Anglais un principe, presque un axiome, que le nouvel empire germanique, puissance exclusivement continentale, bornerait son ambition à dominer sur le continent, à faire la police de l’Europe, qu’il était prêt à abandonner à la Grande-Bretagne la police du reste du monde et la domination des mers. « Entre ses intérêts et les nôtres, disait-on, quel conflit serait possible? Nous voudrions nous disputer que nous ne saurions pas sur quoi. » On était persuadé que si loin qu’on étendît ses coudes, on ne rencontrerait jamais un coude allemand, et on plaignait les pays qui n’ont pas le bonheur d’être une île. M. de Bismarck avait parlé jadis du duel de la baleine et de l’éléphant. Le véritable éléphant est l’Allemagne, et la baleine se flattait qu’elle n’aurait jamais rien à démêler avec lui.

Des paroles tombées de haut semblaient justifier la confiance des Anglais et les entretenaient dans leur douce illusion. M. de Bismarck avait dit en 1871 : « Je ne veux point de colonies. Pour nous autres Allemands, des possessions lointaines seraient exactement ce qu’est la pelisse de zibeline pour certaines familles nobles de Pologne qui n’ont pas de chemises. » Son opinion personnelle s’accordait avec celle de la nation, qui paraissait peu disposée à courir des aventures d’outre-mer, à prendre sa part des joies et des douleurs attachées aux entreprises coloniales. On faisait remarquer que l’Allemagne était fatalement entravée dans le développement de sa marine par la médiocre étendue de ses côtes, par la faiblesse numérique de sa population