Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle était la veille. Il n’y avait pas moins dans ce scrutin du 19 octobre une assez sérieuse manifestation d’opinion à laquelle les circonstances donnaient un caractère exceptionnel et dont une politique prudente ou avisée avait à tenir compte. Rappeler les libéraux et leur accorder la dissolution du parlement, c’eût été pour ainsi dire rendre les armes devant la sédition qui a précédé les élections dernières ; ne rien faire, c’eût été sans doute envenimer la situation. Le roi des Belges s’est tiré d’embarras par la démission de deux des ministres les plus engagés. M. Jacobs et M. Wœste se sont retirés ; ils ont été suivis par M. Malou, et le cabinet s’est reconstitué sous la présidence de M. Bernaert, avec le prince de Caraman-Chimay comme ministre des affaires étrangères, avec M. Thonissen, qui est fort connu pour ses écrits, comme ministre de l’intérieur. Ce n’est point un changement complet de politique, c’est du moins un temps d’arrêt, une trêve d’un moment entre les partis.

Au fond, tous ces incidens qui viennent d’émouvoir, qui émeuvent encore la Belgique, ne sont peut-être pas dénués d’une certaine moralité assez différente de celle que peuvent en tirer les partis. Ces apparentes oscillations ou contradictions d’opinion qui viennent de se produire dans des élections successives ne sont peut-être pas autant qu’on le croirait le signe de l’inconsistance et de la mobilité du pays. À y regarder de près, à chercher la vérité à travers la fumée de ces agitations et de ces luttes ardentes, on peut distinguer ceci. Lorsque les libéraux avaient le gouvernement qu’ils ont gardé longtemps, ils avaient assez notoirement abusé du succès et du pouvoir. Ils avaient, eux aussi, la majorité, ils se croyaient tout permis. Ils n’avaient pas seulement déployé toutes les ardeurs de l’esprit de parti dans les affaires religieuses, ils avaient aussi compromis assez gravement les finances de la Belgique. Par leurs alliances ou leurs affinités avec le radicalisme, ils avaient inquiété, ils s’étaient aliéné bon nombre d’esprits sincères, indépendans, libéraux, mais non révolutionnaires, et le résultat a été que le jour où le scrutin s’est ouvert, au mois de juin dernier, l’opinion s’est tournée contre eux avec une sorte de véhémence qu’ils n’avaient pas prévue. Lorsque les catholiques, à leur tour, sont arrivés au pouvoir il y a quatre mois, ils ne se sont peut-être pas assez défendus de l’enivrement du succès, de l’esprit de parti et de représaille ; ils ont cru pouvoir pousser à bout leur victoire par une loi qui n’aurait rien perdu à être moins visiblement une œuvre de réaction. Aussitôt on en a profité pour émouvoir les esprits indépendans, pour leur faire craindre une réaction plus complète, et le résultat a été ce revirement qui s’est manifesté dans les élections municipales. Cela prouve qu’après tout le pays belge, par ses sentimens, par ses instincts, n’est pas avec les partis qui abusent du suc-