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convention consacrait le principe de la non-intervention, elle nous délivrait momentanément d’un ennui, elle nous permettait de retirer nos troupes, mais elle ne servit en réalité qu’à raviver les passions nationales et à encourager le parti révolutionnaire[1]. Personne, en Italie, n’accepta Florence comme capitale définitive ; ce n’était qu’une étape, disait-on, qui devait plus vite et plus sûrement mener à Rome.


II.

Déjà l’Italie nous marquait de l’humeur; la reconnaissance semblait lui peser. Elle cherchait de l’espace pour faire souche à part; notre ombre la gênait, l’étouffait.


Nunc altæ frondes et rami matris opacant,
Crescentique adimunt fœtus uruntque ferentem.


L’empereur commençait à comprendre qu’il n’était pas aisé de se consacrer à la délivrance des peuples sans porter atteinte à leurs susceptibilités et sans se trouver tôt ou tard en opposition avec leurs intérêts. Il devait s’en apercevoir chaque jour davantage. L’Italie officielle — celle que l’on voyait, — restait correcte, démonstrative ; le langage de M. Nigra ne variait pas. Il affirmait l’alliance, il se portait garant des sentimens de son gouvernement et de son roi. Mais l’Italie secrète — celle qu’on ne voyait pas[2] — s’agitait, impatiente de secouer notre protectorat. Les révolutionnaires ne tenaient aucun compte des sacrifices que la France avait faits à leur cause, ils feignaient de les ignorer. Ils s’imaginaient qu’ils devaient l’unité à leurs seuls efforts ; ils disaient que l’Italie s’était acquittée largement en nous abandonnant Nice et la Savoie. Ces tendances n’échappaient pas à l’empereur; il s’en affligeait. Il se sentait pris dans un engrenage; il avait hâte de s’y soustraire ; sa parole était engagée, il cherchait par tous les moyens à la dégager. La délivrance de Venise avait pris chez lui le caractère d’une idée fixe, il la voulait à tout prix. Il croyait que le seul moyen d’asseoir l’Italie, de la délivrer des menées révolutionnaires

  1. La convention eut un douloureux retentissement à la cour pontificale; on ne se méprit pas sur sa portée ni sur les arrière-pensées qui l’avaient inspirée. Le pape y répondit par l’encyclique du 8 décembre : elle faisait l’apologie de l’ancien régime. Loin de rapprocher les deux puissances que l’empereur s’était donné la mission de réconcilier, elle faisait éclater une irrémédiable dissidence. La convention livrait en réalité Rome aux Italiens, car si elle leur interdisait toute entreprise violente contre le saint-siège, elle consacrait le principe de la non-intervention et autorisait l’Italie à poursuivre la conciliation de ses intérêts nationaux avec ceux du pape, sur la base de la séparation de l’église et de l’état.
  2. M. Auguste Brachet, l’Italie qu’on voit et l’Italie qu’on ne voit pas.