Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et en même temps de sauver la papauté, c’était d’obtenir l’abandon de Venise. Il avait tenté maintes négociations pour décider l’Autriche à une cession à l’amiable soit par voie de rachat, soit par voie d’échange. Mais ses efforts n’ayant rencontré que des refus obstinés et parfois déplaisans, et la France ne se souciant pas de recommencer la guerre pour un but aussi contestable au point de vue de nos intérêts, il ne restait plus dès lors qu’un moyen de vaincre une résistance aussi obstinée : c’était de procéder par voie de contrainte. L’alliance de la Prusse et de l’Italie s’imposait en quelque sorte à sa politique[1].

L’empereur était d’ailleurs, au commencement de 1866, avide de complications. Il s’arrêtait à des conceptions qui lui ouvraient des perspectives nouvelles et le flattaient de l’espérance d’un retour de fortune. Sa politique, à cette heure avancée du règne, avait subi une série de mécomptes. Ses rapports avec la Russie et l’Angleterre étaient altérés ; nos relations avec les États-Unis n’étaient rien moins qu’amicales ; l’expédition du Mexique avait mal tourné. Elle permettait à l’opposition de battre la politique impériale en brèche. Le gouvernement en était réduit à chercher des dérivatifs au dehors. Toutes ses espérances étaient fondées alors sur un conflit entre l’Autriche et la Prusse. C’est pour le faire éclater qu’il concéda à M. de Bismarck, sans s’assurer aucune compensation, « l’alliance sans laquelle on ne pouvait rien et avec laquelle on pouvait tout. » Aussi le ministre prussien disait-il en revenant de Biarritz : « Si l’Italie n’existait pas, il faudrait l’inventer. »

L’empereur voulait l’alliance et la conseillait formellement. Ce point d’histoire, accablant pour la politique impériale, a été révélé par M. Nigra dans le rapport qu’il a adressé au prince de Carignan.

Le traité fut signé le 8 avril. Il était fatidique ; il portait en germe : l’empire d’Allemagne, l’unité italienne, la suppression du pouvoir temporel, la chute de la dynastie impériale, le démembrement de la France et la commune.

L’empereur eut cependant, dans ces jours décisifs pour sa fortune et celle de la France, comme une vision de l’abîme vers lequel il marchait à pas précipités, entraînant à sa suite les destinées de son pays. Un instant, il essaya de retourner sur ses pas et de défaire l’alliance. Il redoubla d’efforts à Vienne. Il obtint de l’Autriche que, si elle sortait victorieuse de la lutte, elle abandonnerait la Vénétie en échange de la Silésie. Mais le gouvernement italien ne se souciait pas de sacrifier les bénéfices certains qu’il attendait du traité de Berlin à une cession conditionnelle de la Vénétie fondée sur les

  1. La Politique française en 1866. — L’alliance de la Prusse et de l’Italie.