Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on s’appliquerait à le dégager des difficultés italiennes. Il suffit du mauvais vouloir de la Prusse pour faire avorter ses espérances. M. de Bismarck ne se souciait pas de lui tendre la perche, il avait intérêt à détourner son attention de l’Allemagne et à le laisser aux prises avec le pape, qui lui reprochait de l’avoir livré aux Italiens, et avec le cabinet de Florence, qui s’irritait des obstacles qu’il opposait à ses revendications nationales. Le ministre prussien prévoyait un règlement de comptes avec le cabinet des Tuileries, qui, après avoir laissé échapper l’occasion, réclamait le Luxembourg comme prix d’une neutralité périmée. La question romaine était un atout dans ses mains ; il n’entendait pas s’en dessaisir ; elle devait lui permettre d’entretenir les passions italiennes et empêcher tout retour à l’alliance de 1859.


III.

Au mois d’avril 1867, l’inquiétude gagnait l’Europe, la guerre paraissait imminente. L’Angleterre et l’Autriche faisaient des efforts désespérés pour de jouer les sinistres projets des états-majors prussiens. L’Italie seule semblait se désintéresser des événemens. Elle se disait l’amie de tout le monde ; elle se dérobait, en invoquant à Berlin les souvenirs de 1859, et ceux de 1866 à Paris. Elle soutenait qu’il lui était difficile de s’engager soit d’un côté, soit de l’autre, car si, avec l’aide de la France, elle avait commencé sa délivrance, c’était avec le concours de la Prusse qu’elle l’avait achevée.

« J’ai pu constater chez les membres du cabinet une sympathie que je crois réelle, écrivait le baron de Malaret à la date du 21 avril 1867, mais cette sympathie est visiblement contenue par le désir de ne pas se compromettre. Tout en reconnaissant la modération de nos prétentions et en blâmant l’ambition excessive de la Prusse, on répète volontiers qu’en cas de conflit, les intérêts de l’Italie ne se trouveraient pas directement menacés. Il n’est pas besoin d’une grande clairvoyance pour comprendre que le gouvernement italien, laissé à ses propres inspirations, ne songe pas à nous témoigner ses sympathies autrement que par des vœux. »

Cette attitude ambiguë, égoïste, des hommes d’état italiens, à un moment périlleux pour la France, aurait dû donner à réfléchir. Mais l’empereur n’en tirait aucune moralité ; sa foi en était si peu ébranlée que, pour assurer à l’Italie la consécration de grande puissance[1] et la sanction implicite des faits accomplis dans la péninsule,

  1. « Le conseil amphictyonique de l’Europe, jusqu’à présent composé des représentans de cinq puissances, va s’augmenter d’une sixième, dont la voix nous sera naturellement contraire. Nous sommes trop voisins de l’Italie, nous avons trop de ressemblance avec elle, nous lui avons rendu de trop grands services pour qu’elle nous aime. L’ingratitude en politique est le premier des droits et des devoirs. En politique, nos ennemis sont nos voisins ; cet axiome est aussi sûr que pas un de Machiavel. » (Proudhon, la Fédération et l’Unité en Italie.)