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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/313

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« Recevoir la Vénétie en cadeau de la France est humiliant pour nous, et tout le monde dira que nous avons trahi la Prusse, » télégraphiait le général de la Marmora à M. Nigra. « Tâchez, ajoutait-il, de nous épargner la dure alternative d’une humiliation ou de nous brouiller avec la France. »

L’Italie était faite : le rêve que depuis Dante des générations de patriotes avaient caressé en vain, se trouvait, en un tour de main, accompli comme par enchantement, tandis que l’œuvre élevée laborieusement, dans le cours de plusieurs siècles, par nos grands politiques et nos grands capitaines, était compromise, menacée. La France sortait des événemens amoindrie, son territoire restait intact, mais elle était atteinte dans son prestige; elle avait imprudemment attaché à ses flancs deux puissances militaires jalouses, ambitieuses et réalistes. « Un pays peut être diminué tout en restant le même, lorsque de nouvelles forces s’accumulent autour de lui, » écrivait à l’empereur un ministre clairvoyant.

Ni la Prusse ni l’Italie ne savaient gré à l’empereur de l’élan qu’il leur avait laissé prendre, sous de funestes influences. Enhardies par le spectacle de ses défaillances morales et de son impuissance militaire, elles devaient poursuivre leurs desseins froidement, implacablement. Le rêve était fini : la politique impériale, comme un vaisseau désemparé, sans boussole, allait, avant de sombrer, se débattre dans une longue et douloureuse agonie, serrée de près, poussée à bout par ses adversaires sans pouvoir se soustraire aux embûches sans cesse renaissantes qui se dressaient devant elle. « L’empire révolutionnaire périra sur l’écueil italien, » avait dit le vieux prince de Metternich en 1858, lorsqu’il vit Napoléon III s’engager avec M. de Cavour. Ces prévisions semblaient se justifier. L’Italie, au lieu de nous servir d’appui sur les champs de bataille et dans les conférences, ne prenait plus le mot d’ordre à Paris ; elle cherchait son point d’appui à Berlin. Il lui restait une dernière étape à franchir pour arriver au plein couronnement de son unité, et elle savait que l’empereur, le voudrait-il, ne pourrait pas, sans provoquer l’indignation de la France, lui ouvrir les portes de Rome. Le cabinet de Florence n’en soulevait pas moins la question romaine, sans se préoccuper des embarras que ses revendications causeraient à un allié qui, disait-on, ne régnait en France que pour faire le bonheur de l’Italie. L’empereur essaya de réconcilier la révolution avec la papauté ; mieux eût valu ne pas les mettre aux prises. Toujours enclin aux illusions, il provoqua une conférence ; elle devait substituer aux garanties que la convention du 15 septembre assurait au gouvernement pontifical celles de toutes les puissances catholiques. Il s’imaginait, dans sa méconnaissance des intérêts européens, qu’on répondrait avec empressement à son appel et