Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en Allemagne, la soustraire à l’action dissolvante et envahissante de la Prusse, la fortifier en Pologne et dans les Balkans contre la Russie. Les douloureuses épreuves de 1866 avaient rapproché les deux pays ; ils avaient à se prémunir contre un ennemi commun ; leur sécurité commandait de conjurer ou du moins de ralentir la transformation de l’Allemagne.

Le chancelier d’Autriche craignait que bientôt « il n’y eût plus d’Europe; » il connaissait les desseins de son adversaire; il espérait les de jouer avec l’aide de la France et de l’Italie. Mais il se méprit sur notre puissance militaire ; il méconnut la force agressive de la Prusse, il ne soupçonna pas le rôle réservé par M. de Bismarck à la Russie. Il permit à Napoléon III, si accessible aux rêves, de croire que l’Autriche serait forcément à ses côtés le jour où la France se trouverait en face de la Prusse. Il est vrai que le comte de Beust, en affirmant l’alliance, en toute occasion, ne pouvait pas prévoir que la guerre éclaterait de la sorte, avec un tel emportement, sur une question de procédés, sur un incident, et que le gouvernement français se jetterait dans une formidable aventure sans pressentir, sans consulter ses alliés naturels, mêlés si étroitement depuis deux ans aux combinaisons de sa politique. C’était exposer l’Autriche et l’Italie à de cruels embarras, c’était rompre toute solidarité avec elles, les autoriser à ne plus tenir compte que de leur propre sécurité. Dans les pourparlers engagés entre Paris, Vienne et Florence depuis 1868, jamais il n’avait été question de provoquer des complications. Il s’agissait uniquement de se mettre en mesure de brider l’ambition du cabinet de Berlin et de faire respecter le traité de Prague le jour où il plairait à la Prusse d’étendre violemment sa domination au-delà du Mein. « J’ai fait deux guerres malheureuses, disait l’empereur François-Joseph au général Lebrun au mois de juin 1870, je n’en ferais pas une troisième à moins d’un intérêt suprême. Il faudrait que l’indépendance de la Bavière et du Wurtemberg fût menacée pour me décider à demander à mon peuple de nouveaux sacrifices; il me serait difficile de ne pas m’associer à la France le jour où elle rappellerait la Prusse au respect du traité de Prague. »

Dans les plans de campagne combinés qu’étudiaient, en prévision de cette éventualité, les deux états-majors, l’armée française devait prendre l’offensive, pénétrer dans le midi de l’Allemagne et opérer sa jonction avec l’armée autrichienne en Franconie, dans les environs de Nuremberg. Mais l’Autriche demandait à être prévenue en temps utile, elle avait besoin de quarante-deux jours pour sa mobilisation. Elle s’engageait néanmoins à masser, dès le début de la campagne, 40,000 hommes à Pilna, sur les frontières de la Saxe,