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et 40,000 à Olmütz, sur les frontières de la Silésie. L’Italie, dont la mobilisation n’était guère plus rapide, devait tenir le midi de l’Allemagne en respect, et, aussitôt ses forces concentrées, jeter 40,000 hommes en Bavière. Dans ces conditions, tout étant prévu et concerté à l’avance, la guerre n’avait plus rien qui pût inquiéter la France. La participation de l’Autriche et de l’Italie imposait forcément la neutralité au Wurtemberg et à la Bavière, et peut-être même la coopération active.

L’incident espagnol renversa toutes ces combinaisons. Le gouvernement de l’empereur, au lieu de se concerter préalablement avec les cabinets de Vienne et de Florence, dès qu’il fut informé des menées secrètes de la Prusse en Espagne, céda aux passions militaires et aux entraînemens irréfléchis de l’opinion. M. de Beust, l’histoire ne saurait le méconnaître, ne négligea aucun effort pour arrêter le gouvernement français. Il proposa sa médiation de compte à demi avec le cabinet de Florence ; il suggéra même l’idée aventureuse de laisser embarquer le prince de Hohenzollern et de le faire arrêter en pleine mer par une escadre française. Il nous supplia de nous contenter de la renonciation, qu’il considérait comme un succès inespéré pour notre politique ; il protesta, dès le début, contre l’interprétation que M. de Gramont se plaisait à donner à ses engagemens ; il affirmait qu’il n’était pas tenu, sur notre simple réquisition, de procéder à des démonstrations militaires sur la frontière de la Bohême et de la Silésie. Mais il était dit que le gouvernement impérial resterait sourd à toutes les exhortations. La situation de l’Autriche allait devenir périlleuse. Elle s’exposait, suivant les résolutions qu’elle prendrait, et suivant le résultat de la guerre, soit aux ressentimens de la Prusse, secrètement alliée à la Russie, soit à ceux de la France. Elle avait à compter aussi avec ses difficultés intérieures, le mauvais vouloir des Hongrois et de ses populations allemandes. M. de Beust en était réduit à carguer ses voiles et à flairer le vent. Au fond, ses vœux étaient pour nous, il ne se dissimulait pas que nos défaites enlèveraient à l’Autriche toutes ses chances de relèvement et l’assujettiraient à jamais à la Prusse. Mais le spectacle qu’offrait Paris, à ce moment, ne lui permettait pas de croire à nos succès. La confusion qui présidait à nos préparatifs, le désarroi qui régnait dans nos sphères gouvernementales, la révolution qui déjà s’affirmait dans les rues, l’affaissement de l’empereur, les illusions du duc de Gramont, la confiance et les rivalités des généraux, tout indiquait que les hommes qui présidaient aux destinées de la France la conduisaient à sa perte.


G. ROTHAN.