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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/342

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oublient ce qu’ils ont appris et ils perdent à tout jamais les qualités nécessaires pour l’exécution des travaux artistiques. Plusieurs déposans ont très énergiquement exprimé leur opinion sur ce point. « Depuis trente ans que je suis à Baccarat, a dit le directeur de cette grande usine, jamais je n’ai vu un jeune homme, après l’interruption occasionnée par le service militaire, devenir un ouvrier distingué. » Interrogé sur l’influence que produit le service militaire sur les élèves de l’école des arts décoratifs, le directeur de cette école, M. Louvrier de Lajolais, a répondu : « Il les tue net. » Et l’honorable directeur a ajouté : « En enlevant ainsi tous les ans la crème des jeunes gens de vingt ans qui n’ont pas terminé leur éducation, on arrivera à un résultat effroyable pour le pays; c’est l’abaissement fatal des têtes de colonne dans l’industrie. Il faut absolument y songer dans la nouvelle loi militaire. » Les sénateurs et les députés qui faisaient partie de la commission, auront à se souvenir de ces déclarations répétées. Selon le témoignage des personnes expérimentées et compétentes, c’est une question de vie ou de mort pour nos industries d’art. Il conviendra certainement d’examiner dans quelle mesure il sera possible de concilier l’intérêt industriel avec les exigences militaires, afin d’assurer le recrutement des ouvriers d’élite qui ont leur rang marqué dans l’armée du travail. Pour ces ouvriers, peu nombreux d’ailleurs, les réductions ou les dispenses de service seraient aussi justifiées que pour les autres catégories de jeunes soldats auxquelles le projet de loi accorde des conditions exceptionnelles.

L’élévation des frais de transport a été plus d’une fois signalée, dans le cours de l’enquête, comme un obstacle sérieux au progrès de l’industrie. Pour la plupart des produits artistiques, représentant une grande valeur sous un faible volume, le coût du transport peut sembler négligeable; mais il en est d’autres, tels que la céramique et la verrerie, qui emploient la houille et des matières pondéreuses et dont les produits sont également de nature encombrante : pour ces industries, les frais de transport exercent une influence réelle sur le prix de revient et sur le prix de vente. De même, la carrosserie de luxe se plaint vivement du tarif appliqué aux voitures par les compagnies de chemins de fer, et elle y voit une cause de ralentissement dans la consommation intérieure et dans l’exportation. Ces critiques méritent assurément d’être examinées avec attention. Telle industrie, établie depuis longtemps dans une région où elle possède une partie de ses matières premières, sa main-d’œuvre organisée, ses traditions de travail, sa renommée, peut se trouver gravement affectée par la question des frais de transport. Il n’est point désirable qu’elle se déplace : ce serait la ruine, non seulement