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La constitution norvégienne, qui est aujourd’hui une des plus anciennes de l’Europe, a été rédigée dans le trouble des événemens de 1814, qui eurent pour résultat de séparer la Norvège du Danemark, avec lequel elle vivait depuis 1660 sous le régime d’un gouvernement absolu. Lorsque le traité de Kiel, du 14 janvier 1814, céda la Norvège à la Suède, l’armée suédoise était sur la route de Paris. Le traité ne put être mis à exécution sur-le-champ, et les Norvégiens purent croire un instant qu’ils allaient conquérir leur indépendance. Le prince Christian-Frédéric, héritier présomptif du trône de Danemark et lieutenant du roi en Norvège, se fit proclamer régent et convoqua une assemblée constituante qui se réunit à Eidsvold le 10 avril. Le 16 mai, elle adoptait définitivement le texte de la constitution, après cinq semaines de débats. Le 17, elle présentait solennellement ce texte au prince régent et le proclamait roi. Peu après, les Suédois entraient en Norvège. Le nouveau roi signait, le 14 août, la convention de Moss, par laquelle il abdiquait la couronne et s’engageait à convoquer la diète extraordinairement pour négocier avec le roi de Suède. La diète s’ouvrit, en effet, le 7 octobre. Les commissaires suédois proposèrent un projet de constitution rédigé par le ministère suédois : la diète ne voulut pas même le discuter, et le roi de Suède, qui avait promis, à Moss, de ne changer la constitution que d’accord avec la diète, dut se résigner à conserver le texte du 16 mai, en y apportant seulement les modifications nécessitées par l’union personnelle avec la Suède. Ce fut une victoire pour le parti national : ce fut peut-être un malheur pour la Norvège.

Cette constitution, dont le texte révisé porte la date du 4 novembre 1814, est une des plus imparfaites qu’on puisse concevoir. Il y avait en Norvège, en 1814, au sortir d’une longue période de gouvernement absolu, peu d’hommes capables de comprendre et d’organiser un gouvernement constitutionnel. Parmi les projets qui furent soumis à l’assemblée d’Eidsvold, le mieux rédigé, celui qui s’imposait comme base de discussion, était un projet présenté par un Danois, Jean Gunder Adler, et un Norvégien, Christian Magnus Falsen. Les rédacteurs avaient pris principalement pour modèle les constitutions françaises de 1791 et de l’an III, celle de la république batave de 1798, la constitution espagnole de 1812 et celle des États-Unis de 1787, Les auteurs s’étaient étroitement attachés à la théorie des trois pouvoirs et avaient, en conséquence, exclu le système parlementaire. Les membres du conseil d’état (ministres) devaient être pris hors des chambres et n’avaient pas entrée aux séances. La représentation nationale était divisée en deux chambres, mais avec cette particularité que les élections devaient se faire pour une seule assemblée ou storthing, qui, à chaque session, c’est-à-dire