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quel effet pouvait-elle produire sur les hommes politiques qui avaient voté la décision du 9 juin? Discuter un point de droit contre un parti qui montait à l’assaut du pouvoir et qui déjà croyait le tenir était peine perdue. Le storthing ne sut même pas gré au ministère de sa délicatesse et lui répondit en préparant la mise en accusation de tous les ministres devant la haute cour.

La mise en accusation des ministres est prévue par la constitution de 1814, et on peut dire que les dispositions qui règlent ce point dépassent en imprévoyance les plus fâcheux des articles que nous avons déjà signalés. Les ministres peuvent être accusés par l’odelsthing et jugés par une haute cour (Rigsret) composée des membres du lagthing réunis à ceux de la cour suprême. Or la cour suprême ne compte que neuf membres. Le lagthing comprend le tiers des membres du storthing. Même réduit par les récusations, c’est encore le lagthing qui domine nécessairement dans la cour. Il est dangereux, en général, de confier à des hommes politiques le jugement des procès politiques ; les chambres hautes constituées en cours de justice ne rendent pas toujours bonne justice; mais quand la chambre haute est nommée, comme le lagthing norvégien, par l’assemblée issue des élections et dans son sein, toute garantie est sacrifiée. Par une imitation maladroite des constitutions étrangères, les constituans de 1814 avaient confié le jugement aux accusateurs. Cette erreur, comme les autres, était restée longtemps inoffensive : depuis 1845, aucun ministre n’avait été traduit devant la haute cour. Pour la première fois, elle allait avoir à juger tout un ministère.

L’odelsthing ne se pressa pas de formuler l’accusation, et il avait ses raisons. On n’était pas sûr de la majorité à la haute cour. Suivant l’usage traditionnel, le lagthing avait été composé en 1880 d’hommes de toutes les fractions de l’assemblée. Les membres de la droite, réunis à ceux de la cour suprême, pouvaient balancer les ennemis du ministère. On attendit en conséquence les élections nouvelles. Provisoirement, et par précaution, on supprima, l’occasion s’en étant présentée, deux sièges de conseillers à la cour suprême, qui s’en trouva fort empêchée pour l’expédition des affaires.

Cependant le conflit s’accentuait. Le storthing entrait résolument dans la voie des refus de crédits et des refus de pensions. Ses prétentions croissaient avec ses succès. Il entreprit de nommer une commission pour l’examen des questions militaires, destinée à siéger en permanence dans l’intervalle de sessions. Il vota, en 1882, des crédits de 20,000 et de 10,000 kroner pour des sociétés d’armement populaire et de gymnastique, qui déguisaient mal l’organisation d’une force armée. Il prétendit aussi, en 1882, nommer directement deux des membres de l’administration centrale des