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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/389

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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

On peut regretter de voir les moyens propriétaires, si nombreux, se dégoûter de la culture et donner leurs terres à ferme aussitôt qu’ils le peuvent. Le plus fertile des arrondissemens du Morbihan, celui de Lorient, en fournit de fréquens exemples. Un cultivateur y passe presque pour riche quand il a économisé un revenu de 5,000 francs qui lui permet de se reposer. On ne doit pas croire pourtant que, ni dans cet arrondissement, ni dans le département en général, il n’y ait un certain nombre de familles possédant une vraie richesse. D’après un tableau dressé par un grand propriétaire qui veut bien nous le communiquer, on y compterait une trentaine de familles ayant 50,000 francs de rente ou davantage ; trente environ, qui posséderaient de 50,000 à 30,000 ; trente encore qui auraient de 30,000 à 15,000 francs, et on en trouverait quatre-vingt-dix ayant de 7,000 à 8,000 francs. Mais cela n’est que de médiocre conséquence pour l’avancement de la propriété rurale, si, comme on nous l’assure aussi, ceux qui ont de 20 ou 30,000 à 50,000 francs de revenu, en tirent la plus grande partie d’une autre origine que la possession du sol dans le pays même, et ont des propriétés ailleurs ou des fonds placés en valeurs mobilières. Il faudrait pouvoir connaître la part de capital qui revient au sol dans le département même, et c’est ce qu’il est difficile de savoir.

Les Côtes-du-Nord se placent au-dessus du Morbihan. On y sent plus de mouvement, plus déjà de cette impulsion qui tient au commerce. Celui qui se faisait de la pêche de la morue à Terre-Neuve n’a pas été étranger à un certain développement agricole. La « ceinture dorée » y a plus d’étendue que dans la presqu’île morbihannaise ; on peut, en réalité, l’étendre même à toutes les régions où il est permis à l’engrais calcaire d’arriver. La présence du sable marin se fait sentir jusqu’à 50 kilomètres dans les terres. Tout tend, dans ces régions agricoles, à se procurer ce précieux moyen de fertilisation. On voit des femmes, par milliers, courbées sur les plages, à marée basse, ramasser sans relâche le goémon, la tangue. Des bras nombreux sont occupés à recueillir les sables calcaires de Saint-Juvat et d’autres communes voisines de la Rance. La propriété rurale a recours aussi aux calcaires de la Mayenne. C’est par là qu’elle a pu attaquer les vastes étendues de terres vagues et de landes qui, dans certaines régions, comprenaient plus du tiers des terres et ne servaient qu’au pacage des troupeaux. Au moyen des chaux, des noirs de raffinerie et des phosphates, ces terres, inutiles auparavant, se sont transformées en terres de produit. Si la fertilité n’est pas encore très grande, c’est qu’elle ne peut être trop souvent entretenue que par des engrais de ferme, toujours insuffisans, et que le cultivateur ne peut employer indéfiniment ses gains à l’achat d’engrais commerciaux très coûteux