Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
384
REVUE DES DEUX MONDES.

et dont les frais de transport augmentent encore la valeur. Nous avons pu constater, toujours un peu avant que la crise agricole eût produit tous ses effets sur la baisse des prix, souvent du cinquième ou du quart, que les bonnes terres, dans les Côtes-du-Nord, se vendent de 3,000 à 5,000 francs l’hectare et se louent de 90 à 150. Viennent ensuite des prix de location de 50 à 80 francs l’hectare, et des prix de vente de 2,400 à 1,600. Dans le fond des campagnes, les terres ne se louent plus que de 50 à 30 francs, et ne se vendent que de 1,600 à 1,000 francs l’hectare.

La grande division de la propriété, dans les Côtes-du-Nord, est produite par plusieurs causes. On remarque, sur la côte, que le matelot recherche avec une véritable passion le lopin de terre où il pourra bâtir une maisonnette, s’établir avec les siens. Ce petit coin, qui lui donnera, avec une occupation pour ses bras, un complément de subsistance et quelque apparence de propriété rurale, il l’entrevoit comme un Éden tandis qu’il navigue. Mais lui surtout se lasse des rêves réalisés. S’il en est qui s’en tiennent à cette tranquille existence, d’autres ne l’adoptent que pour un temps. On voit souvent les premiers, une fois fixés sur le sol, compléter leur instruction et chercher quelque emploi. Ceux qu’entraîne une imagination plus mobile sont ressaisis du désir de reprendre la mer, et alors la moindre occasion suffit : un moment de gêne, un peu d’ennui plus profondément senti, une rencontre fortuite qui amène quelque libation avec ceux qui partent, suffiront pour rengager ces hommes naguère si enchantés de l’idée qu’ils touchaient au terme de leurs fatigues. Ils vont de nouveau pêcher la morue à Terre-Neuve ou ailleurs : pêche périlleuse, où plus d’un laisse ses os, et dont les survivans reviendront encore attristés, découragés, se fixer de nouveau à terre, se promettant de ne plus bouger, et il en est qui se tiennent parole. Mais la principale cause de cet émiettement de la propriété et de cette augmentation d’une valeur qui n’est pas toujours en rapport avec le revenu agricole, est, on doit le reconnaître, dans le partage égal entre les héritiers, dont chacun revendique sa part en nature, fait que j’aurais pu et que je pourrais encore citer dans d’autres parties de la Bretagne. Ajoutez surtout qu’une ardente et habile spéculation pousse, par toutes les excitations possibles, les populations rurales à donner à leurs économies un placement foncier et contribue au dépècement pour ainsi dire systématique du sol ; elle achète la totalité des biens mis en vente, puis taille pour chacun, dans ce domaine, le morceau qui lui convient et dont le prix correspond à l’exiguïté de ses ressources disponibles ou à celles qu’il espère se procurer par l’emprunt. La surenchère arrive à hausser extraordinairement les prix. Le bétail souffre de cette culture morcelée ; la culture potagère y