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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

des environs. Ces populations malouines, moitié bretonnes, moitié normandes, qui avaient toujours donné à la France une quantité de braves marins, n’ont cessé de produire en nombre croissant depuis un demi-siècle des cultivateurs excellens et d’habiles spéculateurs qui ont enrichi le sol, surtout dans la région des côtes.


II. — LES TRANSFORMATIONS DU FERMAGE ; CE QUI RESTE DU DOMAINE CONGÉABLE EN BRETAGNE.

Le domaine congéable dominait surtout dans la Basse-Bretagne il y a cinquante ans ; il garde aujourd’hui même une partie, mais de plus en plus restreinte, de la place qu’il occupait autrefois. Ce système d’amodiation est un des plus originaux qui aient existé, et rien ne le rappelle, ni dans le droit de marché, si célèbre en Picardie, ni dans les autres covenans usités en Angleterre, avec lesquels il n’offre que des rapports superficiels. Quelques mots d’explication sont d’autant plus nécessaires qu’il s’est répandu et qu’il règne encore, au sujet du domaine congéable, des idées inexactes. C’est ainsi que les légistes y ont vu d’une façon beaucoup trop systématique une institution féodale entachée des abus qu’on reproche en général à ces institutions. Certains tribuns, sur la foi de l’étiquette, ont aussi déclamé, au commencement de l’époque révolutionnaire, contre le domaine congéable, qu’ils croyaient favorable aux nobles propriétaires et désavantageux aux paysans tenanciers. Cette appréciation, très peu exacte même aux approches de la révolution, est absolument fausse quand on remonte aux origines de ce genre de contrats, extrêmement ancien, et qui paraît s’être établi d’une manière générale du XIe au XIIIe siècle. Si sévère qu’on se montre pour ce système d’amodiation dans l’état actuel (nous verrons que cette sévérité doit comporter des exceptions), il doit être considéré comme une des combinaisons les plus heureuses dans le passé. On imaginerait difficilement un système qui fût mieux fait pour assurer le progrès agricole et une certaine aisance dans l’état de pénurie des capitaux et quand les habitudes guerrières de la noblesse la rendaient presque étrangère à la culture. Rappelons ce qui constituait cet arrangement. Le propriétaire du sol, le foncier, comme on disait, laissait au tenancier l’exploitation moyennant une faible redevance, qui avait le mérite, à ses yeux, d’être fixe et assurée. Dans ces conditions, l’exploitant devenait lui-même propriétaire des bâtimens, clôtures et cultures, qu’il établissait à la surface, d’où le nom de superficiaire, qui lui était donné. Ce domaine était dit congéable, parce que les parties contractantes pouvaient, sous certaines conditions, se donner mutuellement congé.

Pendant la durée du moyen âge, ces congémens furent rares. Le tenancier avait intérêt à prolonger cette possession, qui lui permettait