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LES POPULATIONS RURALES DE LA FRANCE.

inconvéniens se trouvent trop souvent réunis dans ces petites maisons que louent les ouvriers ruraux et qu’ils paient 100 francs, 50 francs, quelquefois même 20 francs par année.

Le salaire exprime en général la quantité du bien-être de l’ouvrier. Mais il peut être nominal ou réel, c’est-à-dire n’exprimer qu’une somme d’argent dont le pouvoir d’achat varie, ou représenter la quantité de choses nécessaires à la vie. Le salaire a augmenté sous cette double forme. Est-il élevé pourtant ? Cette question exige qu’on distingue non-seulement entre les régions, mais entre les différentes catégories de travailleurs. S’il s’agit des gages des domestiques, hommes et femmes, l’augmentation est très sensible. Autrefois, les salaires des domestiques nourris variaient de 90 à 105 francs dans d’assez bons pays. Ils atteignent aujourd’hui à 180 et à 200 francs. Ceux des femmes ont passé de 60 à 120 et à 150 francs. — Sans tenir scrupuleusement compte ici des diversités régionales, on peut regarder comme le fait le plus général que le salaire des travailleurs à la journée et nourris est de 1 franc pour les hommes et de 0 fr. 75 pour les femmes ; de 1 fr. 50 pour les hommes et de 1 franc pour les femmes, sans la nourriture. Assurément, ces salaires sont assez faibles relativement à la plupart des autres provinces ; nous devons ajouter que nous en avons rencontré d’inférieurs, par exemple de 0 fr. 50 pour les femmes nourries et 0 fr. 80 sans la nourriture. Dans une partie des Côtes-du-Nord, on nous signale des taux de salaires pour les hommes tombant à 0 fr. 60 et 0 fr. 50 pendant l’hiver. C’est misérable. Ce n’est guère qu’au temps de la récolte et dans les pays aisés que l’ouvrier rural atteint en Bretagne à des salaires de 2 francs ou

2 fr. 50 fort exceptionnellement, même dans les meilleurs pays. On peut attribuer ce peu d’élévation des salaires à différentes causes : le faible capital de la plupart des exploitans, le peu de besoins des paysans, sauf dans le voisinage des villes, et la médiocrité du travail. Nous avons recueilli de la bouche de plusieurs propriétaires qu’ils aiment mieux payer 4 francs l’ouvrier rural de certaines provinces que 2 francs le travail de l’ouvrier agricole breton, pris dans sa moyenne. Ce travail à bon marché coûte aussi cher qu’un autre, à le mesurer à son rendement.

Quoiqu’elle ait beaucoup diminué, la mendicité est restée la plaie de la Bretagne. Elle est chez les uns une nécessité, qu’une meilleure organisation des secours pourrait seule empêcher ou atténuer ; chez les autres, une tradition et une carrière qui se perpétue de père en fils. On naît mendiant en Bretagne. Autrefois, le mendiant était un être sacré : il était de toutes les fêtes. Il reste encore quelque chose de cette prévention favorable, touchante peut-être, mais dangereuse. Au moins la mendicité ne forme-t-elle