Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
404
REVUE DES DEUX MONDES.

pas, comme dans le département du Nord, un contraste douloureux avec la richesse exceptionnelle d’une propriété opulente. Des enfans en haillons sont dressés à exercer ce métier sur les routes. Les voyageurs se plaignent de leur importunité infatigable ; une légion d’indigens est entretenue par cette aumône. La mendicité se distribue aussi à jour fixe entre les fermes. Le nombre des bureaux de bienfaisance est, ainsi que leurs ressources, trop insuffisant pour remédier à un tel mal. Il répugne d’ailleurs à nos mœurs de traiter la mendicité comme une institution, ainsi que l’a fait l’Angleterre par la taxe des pauvres. L’effort le plus sérieux de la bienfaisance officielle consiste à secourir les enfans au-dessous de douze ans ; beaucoup sont à la charge et sous la surveillance des hospices. Assez fréquemment même, la tutelle dure jusqu’à la majorité. On trouve un millier d’enfans secourus ainsi dans le Finistère. Divers asiles, comme celui de Kerhars, un petit nombre d’orphelinats agricoles, comme celui de Ketbot, rendent de grands services aux jeunes garçons. L’assistance publique s’est, en somme, beaucoup améliorée en Bretagne. Nous sommes loin pourtant de croire qu’elle ne réclame pas une plus grande extension. Les hospices et hôpitaux manquent dans les campagnes et dans les villes de second ordre. Les pharmacies sont très éloignées. Il faut l’immense charité qui règne en Bretagne chez les riches et chez les pauvres pour que le mal ne soit pas poussé à des limites tout à fait exceptionnelles. La création de médecins cantonaux et de sociétés de secours mutuels plus nombreuses s’impose à l’avenir comme une nécessité d’humanité et de civilisation. — Le paupérisme et l’ivrognerie restent les véritables ennemis à combattre dans un pays où le crime et le vice tiennent moins de place que dans la plupart des autres et dont nous avons trouvé plaisir à constater les excellentes qualités morales. Les progrès de l’instruction et de l’aisance sont de puissans moyens. On ne saurait croire sans doute que tous les obstacles qui viennent de la nature du sol seront de sitôt vaincus ; les efforts du capital, insuffisant jusqu’ici, ceux du travail et de la petite propriété, destinée à envahir entre les mains des paysans de plus en plus le sol cultivé, ne supprimeront pas eux-mêmes tous ces obstacles. Mais l’agronomie se rend compte des points à attaquer, des moyens à prendre, et les instrumens de réalisation se sont, en définitive, énormément accrus. Il y a donc lieu de regarder l’œuvre qui s’est accomplie depuis cinquante ans comme la garantie certaine d’un mouvement d’amélioration qui achèvera la transformation économique de la vieille province.

Henri Baudrillart.