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fiers, doit encore accomplir. C’est la pensée qui a guidé nos recherches et qui nous porte à résumer ces tristes scènes pour les lecteurs de la Revue.


I.

Nous constatons les plus anciennes traces d’anthropophagie dès ces temps si prodigieusement éloignés, absolument inconnus hier encore et auxquels nous ne savons même pas quel nom donner. Nous les constatons chez les contemporains du mammouth et du grand ours, comme chez le chasseur de rennes ou de chevaux; chez l’homme qui accumulait les débris de sa nourriture à la porte de la caverne, triste asile qu’il lui fallait disputer aux carnassiers qui l’entouraient, comme chez l’homme des temps néolithiques, qui avait appris à donner à ses armes ou à ses outils le poli le plus merveilleux. Les hommes qui vivaient dans nos climats au milieu des rhinocéros et des éléphans, des hippopotames et des grands félins, avaient du moins une excuse : leur nourriture était précaire, et il leur fallait trop souvent se contenter des racines ou de l’écorce des arbres, des mollusques de la terre ou des plus misérables insectes. Mais l’homme néolithique connaissait la culture, il avait réduit les animaux à la domestication et il possédait des troupeaux. La dépravation des goûts, une cruauté innée, peuvent seules expliquer pour lui d’aussi odieux repas.

Ces faits d’anthropophagie se rencontrent dans toute l’Europe; partout les fouilles ont donné des ossemens humains épars et incomplets, mêlés aux débris de la vie de chaque jour. Les os longs, ceux de l’homme comme ceux des animaux, avaient été fendus pour en retirer la moelle, qui formait une nourriture recherchée. Ce sont là les preuves trop certaines du cannibalisme de nos vieux ancêtres.

L’abbé Chierici, en racontant au congrès préhistorique de Bologne les fouilles d’une caverne située auprès de Reggio, ajoutait que les ossemens humains gisaient confondus avec ceux des animaux, et qu’ils portaient les mêmes traces de carbonisation. M. Regnoli cite des découvertes analogues dans des grottes de l’Apulie, le professeur Capellini au promontoire de Leucate et à l’île de Palmaria, auprès de la Spezzia. Les historiens romains font allusion au cannibalisme des premiers habitans de l’Italie, et Pline, en disant la faible distance qui sépare le sacrifice humain du repas où l’homme servait de nourriture à l’homme, ajoute qu’on ne saurait s’étonner de trouver cette coutume chez des nations barbares, alors qu’elle existait aux temps anciens en Sicile et même en Italie.

A la même époque, des faits semblables se passaient en France.