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vie se prolongeant par-delà le tombeau, quelque obscure qu’elle se montre, est intéressante à étudier ; elle console au milieu des atrocités dont il faut poursuivre le récit.


III.

Ce qui se passait en Amérique à l’arrivée des Espagnols dépasse en férocité tout ce que nous avons raconté jusqu’ici. Chez les Aztecs, les sacrifices sanglans se renouvelaient en l’honneur de chaque divinité, et les divinités étaient nombreuses. Avant de célébrer la fête du dieu Camaxtli, les prêtres étaient tenus à un jeûne rigoureux qui ne durait pas moins de cent soixante jours ; pendant tout ce temps ils devaient se percer la langue avec de petits bâtons pointus. Les dévots s’infligeaient à leur tour des blessures volontaires en mémoire de Quetzacoatl arrosant l’autel avec le sang tiré de ses oreilles ou de ses lèvres. A telle autre fête, des enfans devaient être immolés en l’honneur de Tlaloc, le dieu de la pluie ; si les parens n’offraient pas volontairement leurs enfans, le Calpulli[1] devait les acheter ; tous cependant n’étaient pas jugés dignes de cet honneur. Il fallait qu’ils fussent nés sous un signe favorable et que leurs cheveux fussent bouclés. Ces malheureux étaient égorgés sur le sommet des montagnes, précipités dans le lac qui baigne la ville de Mexico, ou par un supplice plus cruel encore, enfermés vivans dans une grotte que l’on murait immédiatement. Au premier jour du mois de centeotl[2], on célébrait la fête de la déesse Toci, la mère des dieux; elle était précédée de huit jours de réjouissances, de danses, de combats simulés, où les armes étaient des fleurs. La jeune fille choisie pour victime conduisait une des troupes, celle à laquelle la victoire était réservée. Au jour de la fête, elle traversait la ville, parée des ornemens de l’idole qui figurait Toci. Des vieilles femmes l’entouraient ; elles devaient la distraire, lui faire oublier la mort qui approchait, en lui racontant les plaisirs qui l’attendaient dans le lit du dieu que, cette nuit même, elle allait avoir le bonheur de partager. A minuit, elle était conduite au teocalli; un des sacrificateurs la chargeait sur ses épaules ; en une seconde la tête était tranchée ; et la peau des cuisses et du ventre servait de voile à un jeune prêtre, chargé de représenter Centeotl, le fils de Toci, pendant les cérémonies qui se prolongeaient durant plusieurs jours.

  1. Le Calpulli était formé par la réunion d’un certain nombre de familles toutes alliées entre elles. On ne saurait mieux le comparer qu’au clan écossais.
  2. Le 14 septembre.