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Aux mois suivans, le dieu des orfèvres, celui des marchands, exigeaient des sacrifices non moins cruels; des centaines de misérables captifs étaient traînés aux pieds du grand prêtre, leur poitrine était ouverte et leur cœur, pantelant encore, offert à l’idole qu’on prétendait honorer. A d’autres fêtes, s’il est permis de les appeler ainsi, la peau du malheureux était arrachée ; des gladiateurs s’en revêtaient pour se livrer à des combats simulés[1], ou bien dans un élan de ferveur les prêtres s’empressaient de porter ces dépouilles. Ainsi vêtus, ils s’arrêtaient successivement devant chaque maison, réclamant des offrandes que nul n’osait refuser. « Ils puaient comme des chiens morts, » ajoute Sahagun, à qui nous empruntons ces détails. Quand la peau tombait en lambeaux, elle était suspendue dans un des nombreux temples du pays ; mais si elle avait appartenu à un prisonnier fait les armes à la main, elle devait être rendue au vainqueur, et le hideux trophée se transmettait aux descendans, comme un glorieux souvenir destiné à rehausser l’éclat de leur race. Les réjouissances en l’honneur de Mixcoatl, qui présidait à la fois à la chasse et au tonnerre, étaient inaugurées par des battues où les animaux, daims, coyottes, lièvres, lapins, tombaient sous les flèches des zélateurs du dieu. Puis venaient les inévitables sacrifices humains; on allumait enfin un grand feu; les hommes y jetaient des pipes ou des poteries, les femmes des fuseaux, dans l’espérance que le dieu leur rendrait ces offrandes au centuple dans la vie qui les attendait par-delà la tombe. Au jour consacré à Xuihteculli, le dieu du feu, les captifs étaient portés en triomphe sur les épaules des prêtres jusqu’à la plate-forme où s’élevait le temple de l’idole, puis précipités dans un foyer ardent. La foule se repaissait avec transport de l’agonie de ces malheureux, et des danses et des festins terminaient la journée. A Tlascala, un des mois de l’année était consacré à l’amour ; il était inauguré par le supplice de nombreuses vierges. D’autres fois, un jeune homme et une jeune fille choisis pour leur beauté étaient entretenus toute une année avec un luxe royal, puis conduits à la mort, comme les victimes les plus agréables aux dieux.

Tous ces sacrifices s’accomplissaient selon des rites strictement observés. Cinq lévites (chachalmeca) saisissaient la victime dès qu’elle atteignait la dernière marche du teocalli et la couchaient sur

  1. On rapporte que les Aztecs députèrent vers le roi de Colhuacan pour lui demander une de ses filles destinée à servir de mère à un de leurs dieux. Le roi exauça la demande; mais, à l’arrivée de la jeune vierge, le dieu ordonna qu’elle fût écorchée vivante et qu’un guerrier se revêtit de sa dépouille sanglante. Telle serait l’origine de cette coutume, toujours religieusement observée jusqu’à la conquête espagnole.