Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/438

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’espoir d’acquérir ainsi ces qualités. Chez tel peuple, c’était le cœur ou l’œil; chez tel autre, les organes sexuels qu’il fallait choisir. Les Thlinkeets dévorent les corps des braves tués dans un combat. « Lorsque les Californiens, raconte La Pérouse, ont vaincu et mis à mort sur le champ de bataille des chefs ou des hommes très courageux, ils en mangeaient quelques morceaux moins en signe de haine ou de vengeance que comme un hommage qu’ils rendaient au mort et dans la persuasion que cette nourriture était propre à augmenter leur courage. » Les Utes faisaient bouillir les cœurs de leurs ennemis et se vantaient d’avoir bu leur sang. Les Pavillons-Noirs, nos ennemis du Tonkin, font mourir leurs prisonniers dans de cruelles tortures; ils mangent ensuite leur cœur et leur foie; ils en usent de même pour ceux des leurs distingués par leur valeur; ils ne doutent point qu’ils ne s’inoculent ainsi cette valeur[1].

Tel devait être aussi le secret désir d’un chef sioux, Sitting Bull, qui, il y a quelques années, ayant surpris un détachement de l’armée régulière des États-Unis, se fit apporter les corps du général et du colonel qui le commandaient et qui avaient été tués dans le combat, ouvrit leur poitrine avec son couteau, en tira le cœur et le dévora devant tous ses hommes.

Chez certains peuples, — mais le fait est assez rare, — on condamnait tel criminel à être mangé. Chez les Zapotèques, la femme adultère était mise à mort, et chacun des complices de ses désordres était tenu de manger un morceau de sa chair. Les Battas de Sumatra ont un livre de lois ou de coutumes écrites sur des feuillets d’écorce. Ces lois condamnent les prisonniers de guerre, les adultères, les voleurs de nuit, ceux qui ont des rapports sexuels avec un membre de leur tribu ou qui l’ont traîtreusement attaqué, à être dévorés vivans. L’usage veut qu’on laisse passer quelque temps entre la sentence et l’exécution; au jour indiqué, le condamné est amené et lié à un poteau les bras en croix. L’offensé a le droit de choisir le morceau qu’il préfère; les assistans ont leur tour; chacun s’avance selon une hiérarchie strictement réglée ; le chef vient le dernier ; il doit couper la tête, qu’il garde comme un trophée; la viande est mangée sur place, et les femmes sont exclues du festin. Une jeune femme, rapporte un voyageur récent, s’était sauvée pour rejoindre son radjah qu’elle aimait ; elle avait été aidée dans sa fuite par un serviteur infidèle. Le mari et ses amis poursuivent les fugitifs; l’amant est tué d’un coup de revolver. Le mari pardonne à la femme, qui était fort jolie ; le serviteur en revanche est condamné

  1. Evening Standard, 26 octobre 1883.