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Hélas! M. Richepin n’a disposé de place en place ces précieuses pierres d’achoppement que pour donner le change aux naïfs : chaque fois qu’on buterait, on s’écrierait: « A la bonne heure! le chemin n’est pas nivelé! » Autant de menues ordures, autant de marques d’authenticité pour l’ouvrage : ainsi des toiles d’araignée sur Ls bouteilles chez les marchands de vins et des piqûres de ver sur les bahuts chez les fabricans de vieux meubles; mais ce Macbeth n’est qu’un abrégé à l’usage des badauds. Il y manque des morceaux, et non des moindres, et, dans l’étoffe qui reste, l’adaptateur ne s’est fait faute ni de tailler ni de recoudre. La ruse est bientôt dénoncée : on n’accourt plus, dès le second jour, que pour voir, sans y croire, les prétendus signes d’exactitude de la version nouvelle; on veut les voir pour eux-mêmes: les amusantes toiles d’araignée! les impayables piqûres ! « Culottés de sang, ma chère!.. Il faut entendre cela ! » On va donc à la Porte-Saint-Manin pour s’effaroucher un peu, sans être dupe. Est-ce pour faire vite que le traducteur a fait court? Les interprètes, comme lui, paraissent avoir été pressés. Mlle Sarah Bernhardt n’a pas médité son rôle; elle en jette beaucoup de phrases d’un seul bloc, presque au hasard; elle a pourtant bien de la grâce et de l’énergie, tant pour séduite Macbeth que pour l’enrager. M. Marais représente le héros avec un emploi perpétuel de sa force, qui prouve peut-être plus de zèle que de subtilité; au moins cette sauvagerie frappe-t-elle, et, dans la scène du banquet, cette ardeur se fait applaudir. Ainsi les acteurs, par leurs dons naturels et par une aventureuse dépense d’eux-mêmes, soutiennent pendant quelque temps la recette : les curieux de Paris, sinon les Parisiens, vont pour s’émoustiller, sinon pour s’émouvoir, visiter Shakspeare chez Barnum.

Cependant les lettrés avertissent les gens simples, qui veulent aimer Shakspeare comme il est, et non comme un objet de scandale, de patienter une saison. L’Odéon promet le Macbeth de M. Jules Lacroix, remonté avec soin ; ce n’est pas le monstre lui-même, car c’est Macbeth en vers, et notre alexandrin, si docile qu’il se fasse, exige de petites concessions, au prix desquelles il rend la poésie de l’original mieux que la prose ne saurait faire; d’ailleurs, il ne s’agit pas de la traduction intégrale publiée par M. Jules Lacroix, en 1840, mais de la traduction adaptée au théâtre et déjà représentée : aussi discrète que passible en ses infidélités, aussi pleine du suc de Shakspeare, cette forme française de Macbeth, telle quelle, est un chef-d’œuvre : on l’a saluée de ce titre en 1863, on va le lui confirmer. Nous y voici; ce n’est pas le monstre, inacceptable pour nous avec ses difformités, dont le sacrifice est peu regrettable, mais c’est le dieu : deus, ecce deus !

Il faut l’avouer, la soirée où ce dieu a paru parmi nous, contre l’attente des prophètes, a été froide. Le public, averti d’admirer, a écouté