Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’obscurs conflits. Un premier rapporteur a été nommé, puis il a brusquement donné sa démission après une entrevue avec M. le président du conseil. Un autre rapporteur a été désigné, et celui-là paraît avoir été choisi pour attendre et se taire sans murmurer, comme dit le vaudeville. Le fait est que, depuis deux ou trois semaines, tout semble en suspens. Que signifient ces tergiversations et ces dissimulations ? Après avoir été tout à la guerre il y a quelques jours, est-on maintenant à la paix ? Y a t-il des négociations, des tentatives de médiation qui préparent un dénoûment pacifique, un arrangement avec la Chine ?

C’est là la question, et on en serait toujours réduit à interroger les augures, si par le bienfait des circonstances il n’y avait eu ces jours derniers le banquet du lord-maire à Londres, si dans ce banquet lord Granville n’avait parlé un peu plus qu’on ne parle à Paris. Lord Granville n’a pas laissé ignorer que l’Angleterre, fort désireuse de la paix dans l’extrême Orient, avait mis sa bonne volonté de puissance médiatrice à la disposition de la France et de la Chine, que les deux états avaient bien accepté ses offres, « mais à différentes époques et non simultanément, » que néanmoins l’Angleterre restait toujours prête. En d’autres termes, c’est peut-être la paix par la médiation anglaise ou encore par une négociation directe. Seulement dans quelles conditions se ferait cette paix ? On dit maintenant que la France s’en tiendrait au traité de Tien-tsin et renoncerait à une indemnité. Fort bien, ce n’est pas l’indemnité chinoise qui comblerait le déficit du budget ; mais alors pourquoi poursuivre des hostilités depuis six mois puisque la Chine ne s’est jamais refusée à l’exécution du traité de Tien-tsin ? Mieux encore, au lieu de s’engager dans une guerre qu’on ne sait ni conduire ni finir, pourquoi n’avoir pas commencé par s’en tenir au traité primitif de M. Bourée ? Et lorsqu’on voit tant de tergiversations, de contradictions, de fausses démarches d’un gouvernement toujours flottant entre la paix et la guerre, entre toutes les médiations, comment veut-on que la France se sente rassurée sur la marche de ses affaires dans le monde ?

L’état général de l’Europe est le résultat de circonstances si multiples, si compliquées et enchevêtrées qu’il est quelquefois assez obscur, assez difficile à déchiffrer. Les moindres incidens de diplomatie, les plus simples démarches, voyages ou visites des chefs des chancelleries et, à plus forte raison, les rencontres des souverains, deviennent l’objet de commentaires de toute sorte. Tout est scruté, interprété avec une curiosité impatiente jusqu’au jour où l’on s’aperçoit qu’on s’est mis un peu inutilement en frais l’imagination et d’émotion, que la vérité est plus simple qu’on ne le supposait, qu’il n’y a rien de changé dans les affaires du monde. C’est ce qui vient d’arriver encore une fois à propos de cette entrevue de Skierniewice, qui a occupé quelques jours de l’automne, qui a un instant attiré les regards de tous