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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/480

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incohérence est peut-être inévitable dans un pays où il n’y a que les apparences du régime parlementaire. M. de Bismarck lui-même ne cache pas son dédain pour les formes, pour les fictions parlementaires. Le chancelier qui depuis vingt ans a manié et remanié l’Allemagne de sa main victorieuse veut bien un parlement ; il ne tient pas à avoir une majorité organisée, permanente, qui déciderait les grandes questions au scrutin, qui prétendrait avoir son influence sur un ministère et pourrait au besoin lui imposer une politique. Il ne dédaigne pas d’aller à l’occasion batailler au Reichstag. Il n’entend sûrement pas laisser à la merci d’un vote la force militaire de l’empire II n’entend pas subordonner à un scrutin la direction de sa diplomatie, quoiqu’il ait proposé un jour, à ce qu’il paraît, au comte Andrassv de soumettre le traité avec l’Autriche aux parlemens. Il entend se servir des chambres, tantôt pour lui donner un budget militaire indéfini, tantôt pour rectifier ce qu’il a fait, tantôt enfin, comme aujourd’hui, pour faire sanctionner le socialisme d’état à l’aide duquel il espère vaincre le socialisme révolutionnaire. Qu’il y ait dans une majorité, quand il en a besoin, un peu plus ou un peu moins de conservateurs, de nationaux-libéraux, de catholiques du centre, peu lui importe : il poursuit son but. La question est de savoir ce qui reste dans un pays le jour où disparaît l’homme qui pendant vingt ans et plus a tout résumé en lui.

Ce n’est pas tout à fait ainsi, on en conviendra, que l’Angleterre entend et pratique le régime parlementaire, et, jusqu’ici, elle ne s’en est pas plus mal trouvée. L’Angleterre peut avoir sans doute ses défaillances, ses passions, ses jalousies brutales, ses âpretés d’égoïsme et d’orgueil. Elle ne reste pas moins toujours l’exemple vivant d’une nation libre, disposant de ses propres destinées, gardant son influence sur son gouvernement et trouvant dans sa liberté même les moyens de traverser les crises qu’elle se crée quelquefois par les fautes auxquelles elle est exposée comme toutes les autres nations. Depuis que le parlement est réuni, on ne peut pas dire que les deux ou trois grosses affaires dont les Anglais sont incessamment occupés depuis plusieurs mois, aient marché bien rapidement. Ce n’est que dans quelques jours que M. Gladstone doit faire, au sujet de l’Egypte, les propositions définitives auxquelles le gouvernement paraît être rallié depuis le retour de lord Northbrook. Tout ce qu’on peut dire, c’est que ces propositions auraient pu venir un peu plus tôt, — par exemple, lorsque le cabinet de Londres congédiait si lestement la conférence, — et qu’elles ne seraient aujourd’hui qu’une difficulté de plus si elles n’assuraient pas de larges garanties aux intérêts européens. C’est une question réservée. En attendant cependant, cette autre grosse affaire, la réforme électorale, semble être entrée depuis quelques jours dans une phase plus favorable. On le dirait du moins à certains signes