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Victor-Emmanuel était un souverain constitutionnel, il ne pouvait rien sans ses ministres, qui eux-mêmes relevaient du parlement.

La situation de l’Italie à ce moment n’avait rien d’inquiétant. Libre de tout engagement contractuel, protégée par les Alpes, elle était recherchée par tout le monde. La France réclamait son alliance, l’Autriche sollicitait son union diplomatique, l’Angleterre et la Russie lui conseillaient l’abstention, tandis que la Prusse s’adressait à ses convoitises, a Joindre une grande prudence à une grande audace, » était une des maximes que Gioberti avait tracées à l’Italie dans le Renovamento, que Cavour appelait « la bible italienne. » Les conseillers du roi étaient bien décidés à mettre cette maxime en pratique ; mais, pour le moment, ils subordonnaient l’audace à la prudence. « Leur idéal, écrivait M. de Malaret, serait de prendre en 1870, de concert avec l’Autriche, le rôle que nous aurions pu jouer en 1866 si notre médiation s’était appuyée sur des forces suffisantes. » Ils savaient que Rome était notre corde sensible et que jamais l’empereur, de son consentement, ne leur livrerait le pape, « Plutôt les Prussiens à Paris que les Italiens à Rome ! » disaient les fanatiques dans les antichambres des Tuileries. Ne s’efforçaient-ils pas de donner à la guerre un caractère confessionnel ? Négocier, pour ne pas encourir les ressentimens de la France victorieuse, et éviter de se lier, pour ne pas s’exposer aux dangers de la défaite, telle paraissait être la stratégie du cabinet de Florence, alors que l’empereur, confiant dans de fugitives protestations, réclamait l’assistance militaire de son alliée de 1859.

Le gouvernement italien se gardait bien de repousser le traité que nous lui offrions de signer, de compte à demi, avec l’Autriche. Une triple alliance ne semblait pas lui répugner. Il demandait seulement du temps pour organiser ses armées, il ajournait à six semaines l’exécution de la convention ; ce délai lui paraissait suffisant pour attendre le résultat des premières batailles et connaître les arrêts de la fortune. Il réclamait aussi un article additionnel par lequel la France, fidèle aux principes des nationalités, s’engagerait à concilier les aspirations nationales italiennes avec les intérêts du saint-siège[1]. M. Visconti-Venosta affirmait qu’il serait impossible au gouvernement du roi d’entraîner le pays dans une grande guerre sans lui laisser entrevoir le couronnement de son unité. En apparence, les ministres italiens se montraient peu exigeais, mais ils étaient convaincus que le reste leur arriverait par

  1. C’était pour l’Italie le droit de prendre possession des états pontificaux, sauf Rome et sa banlieue ; c’était à peu près ce que le général Menabrea avait demandé à l’empereur à Vichy.