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inévitablement en Italie si nos armées devaient subir un nouvel échec. On se méfiait, d’ailleurs, de l’Autriche. Le comte Arese télégraphiait des frontières autrichiennes qu’elle armait et qu’il serait urgent de se prémunir en fortifiant Vérone[1]. La diplomatie de M. de Bismarck était complexe, imprévue, redoutable ; elle avait dit jadis à Napoléon III : « Prenez l’Adige ; » ne pourrait-elle pas dire à l’Autriche : « Prenez le Mincio, les frontières naturelles de l’Allemagne. » Si le comte de Beust tombait du pouvoir, rien ne dit que ces avances seraient repoussées à Vienne. elles étaient les craintes vraies ou fausses que manifestait la politique italienne. Comment persuader la peur ? Elle ne raisonne pas, surtout lorsqu’elle se concilie avec de secrètes ambitions.

Il est des agens qui, dans les heures les plus périlleuses, par ineptie ou par calcul, restent impassibles ; ils se bornent à exécuter tant bien que mal leur consigne. Ceux que le devoir inspire n’attendent pas pour agir des instructions qui, souvent, n’arrivent pas. M. de Malaret ne se tint pas pour battu, il revint à la charge. Un instant, il crut au succès. M. Visconti lui confiait que de nouvelles classes seraient appelées sous les drapeaux, qu’on armait sans relâche, et le roi lui envoyait un de ses aides-de-camp pour lui dire qu’il espérait pouvoir fournir à la France un secours plus important et plus rapide que ne le croyait son ministère.

C’était un mirage. Le lendemain, les dispositions s’altéraient de nouveau ; le roi avait reçu de fâcheux renseignemens ; il savait que des fauteurs de troubles soudoyés par la Prusse prêchaient la révolution dans la péninsule et il ne lui était plus permis, en face de ces menées, de dégarnir les grandes villes de son royaume.

Le roi avait hérité des qualités et des défauts de sa race. Il était fin, avisé, martial, avec une pointe d’humeur gasconne. Il brandissait et rengainait son sabre selon les besoins de sa politique. Il invoquait la révolution pour nous refuser son assistance, tandis qu’elle servait d’auxiliaire à ses desseins. Les révolutionnaires de Gênes, de Naples et de Milan qui, disait-il, troublaient son sommeil, ne conspiraient pas contre sa couronne ; ils travaillaient à la grandeur de sa maison. Ils poursuivaient la chute du pouvoir temporel, ils devaient lui fournir le prétexte pour résoudre le problème romain et assurer à l’Italie sa capitale.

Les trahisons préméditées sont plus rares dans l’histoire qu’on ne le suppose. On a prêté au comte de Bismarck bien des perfidies qu’il n’a pas conçues, et celles qu’il a commises n’ont pas toujours été

  1. L’Autriche faisait, en effet, des travaux de défense, mais ce n’était pas sur la frontière italienne. Les journaux radicaux, on affirmant qu’elle voulait reprendre Venise, jouaient le jeu de la Prusse, qui avait intérêt, en éveillant les craintes de l’Italie, à rompre l’entente entre Florence et Vienne.