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des peuples. Ils étaient les apôtres de l’unité des races, et, à ce titre, les précurseurs de Napoléon III.

M. Senard avait des attaches avec les révolutionnaires italiens, il était l’ennemi irréconciliable du pouvoir temporel, il réprouvait l’annexion de Nice. Avec un pareil programme, le représentant de la défense nationale était certain d’être le bienvenu en Italie. L’accueil dépassa son attente. « J’ai trouvé partout, écrivait-il, un accueil excellent. On manifeste pour la république, et pour les hommes qui la constituent, une grande sympathie. Pour moi, personnellement, la réception a dépassé mes espérances ; j’ai été comblé de témoignages d’affectueuse estime ; on a été jusqu’à me dire que mon nom était le meilleur programme que la république pût produire pour s’assurer le concours de tous les cœurs honnêtes. » Il ajoutait qu’il avait conféré longuement avec le président du conseil et avec le ministre des affaires étrangères, qu’il les avait trouvés très disposés à sortir de leur inertie, bien qu’ils fussent préoccupés de l’attitude des puissances.

Le soir même, M. Senard était reçu par le roi. Jamais, dans aucune cour, les barrières de l’étiquette ne s’étaient abaissées aussi vite devant un représentant étranger. Le roi protesta de ses sympathies pour la France ; il dit qu’il avait organisé une armée de 200,000 hommes, prête à entrer en campagne, qu’il ne demandait pas mieux que d’agir, mais que tous les efforts qu’il avait tentés jusqu’à présent pour entraîner l’Autriche avaient échoué. Il promit de s’entremettre auprès des puissances neutres et de protester, isolément au besoin, s’il ne parvenait pas à les entraîner dans une action commune.

Le roi était joyeux, expansif ; il savait qu’avant vingt-quatre heures ses troupes pénétreraient dans Rome, et l’envoyé de France, loin de protester, se réjouissait de l’attentat qui allait se commettre. On échangea de chaleureuses protestations, on se grisa de paroles et l’on s’embrassa. Est-ce le roi qui tendit les bras à l’envoyé extraordinaire ou est-ce l’envoyé, qui, spontanément, dans un accès de lyrisme, se jeta au cou du roi ? M. Senard ne l’a pas dit. Dans les pages les plus sombres de l’histoire, la comédie souvent se mêle au drame.

Le lendemain, 20 septembre, la.péninsule se pavoisait, l’Italie était dans l’ivresse ; le drapeau aux trois couleurs flottait enfin sur la coupole de Saint-Pierre et sur le château Saint-Ange. C’en était fait du pouvoir temporel.

Oubliant ses douleurs patriotiques, le représentant de la France s’associa à l’allégresse générale ; il saisit la plume et écrivit au roi :

« Sire, je n’ai pas voulu porter un visage, malgré moi, toujours triste et anxieux au milieu des joies si vives et légitimes qui saluent