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des Sabins, des Volsques, des Marses, des Ombriens, et jusqu’à des Campaniens, c’est-à-dire des représentans de toutes ces nobles races de l’Italie centrale qui ont tant fourni de soldats aux armées romaines. Énée joint à ses Troyens les Grecs d’Évandre et les Étrusques de Tarchon ; et, comme à ce moment l’Étrurie étendait sa domination jusqu’aux Alpes, le poète en prend occasion de mettre parmi les troupes d’Énée des Ligures, des Cisalpins, et, en passant, de parler un peu de sa chère Mantoue. Il n’y avait que la pointe de l’Italie méridionale, possédée alors par les Grecs, qui restât en dehors de son sujet. Il trouve moyen de l’y rattacher de quelque manière : il imagine que Turnus envoie une ambassade à Diomède, qui règne sur ces contrées, pour lui demander son alliance. De cette façon, quoique Diomède refuse de prendre les armes, son nom et celui des villes qu’il gouverne n’est pas tout à fait absent de l’Enéide. C’est ainsi que le poète est arrivé à y faire figurer tous les peuples de l’Italie, leur créant dans le passé des souvenirs communs au moment où ils venaient de s’unir sous l’hégémonie de Rome, et les intéressant tous ensemble au succès de son œuvre.

Ces réflexions générales terminées, entrons enfin dans l’étude des faits principaux que racontent les six derniers livres de Virgile et suivons-les autant que possible sur le pays qui en a été le théâtre.


II

Dans sa longue navigation, Énée s’est approché plus d’une fois de l’Italie. Quand il quitte l’Épire, où Hélénus et Andromaque viennent de lui faire un si bon accueil, il aperçoit au loin devant lui des terres basses avec des collines noyées dans la brume : c’est l’Italie. « L’Italie ! s’écrie le premier Achate. — L’Italie ! » reprennent tous ses compagnons, en la saluant d’un cri joyeux. Le cœur bat de plaisir à Énée quand il aborde pour la première fois le pays que les destins lui promettent et que sa race doit rendre si glorieux. Mais ce n’est pas de ce côté qu’il peut y pénétrer : la terre qu’il a sous les yeux est toute grecque et peuplée d’ennemis ; il se contente d’y passer une nuit furtivement et continue sa route le long du golfe de Tarente. Plus tard, après son séjour à Carthage et en Sicile, où un autre fugitif de Troie, Aceste, lui donne l’hospitalité, il s’arrête à Cumes pour consulter la sibylle et descendre aux enfers. Mais ce n’est pas encore l’endroit où il doit se fixer ; il faut qu’il se rembarque et qu’il se dirige vers ces terres du Latium « qui semblent toujours fuir devant lui. » Enfin, après qu’il a touché à Misène, à Palinure, à Caiète, pour y ensevelir les compagnons qu’il a perdus, et doublé le promontoire où l’enchanteresse Circé tient sa cour, il arrive à l’embouchure du Tibre.