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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/66

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navires les plus rapides qui aient jamais flotté sur les mers ; elle gagne le corsaire main sur main. Le raïz incline à la soumission : il voudrait qu’on laissât sur-le-champ courir les rames et qu’on n’irritât pas à plaisir le commandant de la galère chrétienne. La capitane arrive enfin à portée de voix du brigantin, « Rendez-vous ! » crient les Espagnols. Malheureusement, deux thérakis, — c’est ainsi qu’on appelle dans le Levant les gens qui ont l’habitude de s’enivrer avec le hachich, — deux thérakis, disons-nous, qui se trouvaient à bord avec douze autres Turcs, ont déchargé sans ordre leurs arquebuses. Deux soldats de la capitane tombent mortellement frappés sur la rambade. Le général, furieux, donne l’ordre d’aborder : le comité, en exécutant cette manœuvre, a mal calculé son élan ; le brigantin, au lieu de rester accroché, se dérobe et passe sous la palamante. La galère espagnole est obligée de décrire un grand cercle pour revenir sur ses pas ; le corsaire, pendant ce temps, arbore rapidement son arbre, hisse la mestre et s’éloigne, faisant force de voiles et de rames. Toute cette activité ne le sauvera pas. La capitane l’a bientôt rejoint ; cette fois le comité règle mieux sa vitesse. Il élonge l’Algérien bord à bord et jette sur le pont ennemi sa palamante. Les corsaires se trouvent pris vivans, comme dans un filet. »

Voilà ce que j’appelle écrire en marin. Je retrouve ici Aristophane, Xénophon, Thucydide ; Michel Cervantes sait, aussi bien que le meilleur des canotiers athéniens, comment on manœuvre à bord d’une galère : il en a lui-même habité le courroir, il en a défendu les rambades, et il revient mutilé de Lépante, où il a « perdu le mouvement de la main gauche pour la gloire de la main droite. » Relisez donc, comme je viens de le faire, le chapitre qui retrace en traits ineffaçables Io mal que le avinò à Sancho Panza con la visita de las galeras, vous comprendrez mieux comment toute la grandeur de Charles-Quint ne suffisait pas alors à défendre les rivages de la Catalogne, de Murcie, de Valence, des insultes des pirates barbaresques. Une ceinture de tours, aujourd’hui à demi ruinées, atteste encore dans quelles inquiétudes constantes vivaient, à la fin du XVIe siècle, les populations du littoral méditerranéen. Les corsaires d’Alger venaient défier le maître des Flandres, le dominateur de l’Italie et des Indes jusqu’à l’entrée des ports où il tenait sa cour. Sans le roi Charles X et ses hardis ministres, le duc de Polignac, le général de Bourmont, M. d’Haussez, la Méditerranée ne serait pas aujourd’hui plus tranquille. La conquête de l’Algérie a été un incomparable service rendu à l’humanité : honneur immortel à ceux qui l’ont accomplie ! Gloire et encouragement à ceux qui en poursuivront les conséquences ! Je me suis toujours déclaré partisan résolu de l’Afrique française, — de la France africaine.