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fût parfaite. Les partisans de cette opinion citaient l’exemple de la Mer-Morte, dans le voisinage de laquelle on recueille beaucoup d’asphalte et dont les eaux sont, en effet, d’une âcreté insupportable. Il y a une centaine d’années, Macquer, aidé de Lavoisier et d’un autre chimiste, distilla soigneusement des échantillons rapportés de Palestine et n’y trouva pas plus de bitume qu’il n’en avait découvert auparavant dans l’océan ou la Méditerranée. Il attribua le premier la saveur amère de ces eaux à la présence des sels de magnésie.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les chercheurs ont songé à rendre l’eau de mer potable en lui enlevant son goût nauséabond. À cette heure, le problème est résolu depuis longtemps et, ainsi qu’il arrive souvent dans ce monde, l’utilité de l’invention tant désirée est bien amoindrie. Naguère, en effet, l’eau douce destinée à l’approvisionnement des vaisseaux était renfermée dans des tonneaux de bois, où elle ne tardait pas à se corrompre, de sorte que les infortunés matelots étaient placés entre deux alternatives : mourir de soif ou absorber un véritable poison. Aujourd’hui, les navires de commerce eux-mêmes sont munis de vastes récipiens en tôle de fer, grâce auxquels l’eau, loin de se corrompre, s’assainit avec le temps en devenant ferrugineuse.

Les anciens ne s’écartaient guère des côtes et ne pratiquaient le plus souvent que le simple cabotage ; néanmoins cette question intéressante les avait occupés, et Pline, en particulier, nous fournit deux moyens de dessaler l’eau de la Méditerranée : malheureusement, le premier n’est qu’une absurdité et le second est peu pratique. Le compilateur latin propose d’abord de plonger dans la mer des boules de cire creuses qui, affirme-t-il, se rempliront d’eau pure ; puis il conseille d’exposer à la rosée matinale, sur le pont du bâtiment, des peaux de mouton recouvertes de leurs toisons. Or la cire ne se laisse pas traverser par l’eau, et si, par impossible, la liqueur pouvait transsuder à travers ce corps gras, elle ne se dessalerait nullement.

Celui qui parcourt la longue série des mémoires publiés pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, sur la question de l’eau marine adoucie par distillation, est frappé de la divergence des opinions et du défaut de concordance des résultats[1]. Les uns affirment que l’eau ainsi

  1. Les chimistes contemporains de Louis XIV avaient déjà remarqué fort justement qu’il était impossible d’adoucir l’eau en précipitant, au moyen de réactifs appropriés, les chlorures de sodium et de magnésium. Tout ce que l’on peut obtenir, c’est de transformer ces chlorures en azotates de mêmes bases, et pour réaliser ce changement d’utilité fort ; contestable, la chimie analytique n’indique que trois agens efficaces : les nitrates d’argent, de sous-oxyde de mercure et de plomb. Or le premier est fort cher, le second ne peut s’employer que dissous dans l’eau forte, le troisième n’entraîne que partiellement les chlorures, et, de plus, tous les trois sont de violens poisons dont quelques gouttes ajoutées en trop seraient fort dangereuses. Le remède est cent fois pire que le mal.